Les joueurs de poker sont plus intelligents que la moyenne

Les joueurs de poker sont plus intelligents que la moyenne

Quelle forme d’intelligence ont les joueurs de poker et n’ont pas la plupart des gens, experts politiques compris ? En quoi le poker peut-il rendre intelligent ? Venez découvrir l’Intelligence Prédictive et testez la vôtre !

L’Intelligence Prédictive

La mesure de l’intelligence la plus connue est le QI. Depuis son invention par le psychologue français Alfred Binet en 1905, le QI a rencontré éloges et critiques. Aujourd’hui le QI semble passé de mode car, s’il est indéniable que le QI mesure quelque chose, ce ne serait l’Intelligence à proprement parler, tout au plus une forme spécifique d’intelligence, tellement spécifique qu’elle ne serait que très peu révélatrice.

Une nouvelle forme d’intelligence a vu le jour dans les années 90 et rapidement gagné en popularité : l’Intelligence Emotionnelle, la capacité à utiliser les sentiments et émotions. Le net et les magazines regorgent d’articles grand public qui paraissent destinés à consoler ceux qui douteraient de leur capacité intellectuelle : “rassurez-vous, la véritable intelligence est celle du coeur”.

Entre le QI, précis et scientifique mais dont l’importance est remise en cause et l’IE, véritable fourre-tout, une troisième intelligence pourrait se populariser : l’Intelligence Prédictive.
L'Intelligence Prédictive est la capacité à prédire l'incertain et à agir en accord avec cette prédiction.

L’Intelligence Prédictive est la capacité à prédire l’incertain et à agir en accord avec cette prédiction.L’incertain pouvant être un évènement futur aussi bien qu’un évènement présent ou passé qu’on ne connaîtrait pas.
Prédire l’incertain et agir en accord avec cette prédiction est le raisonnement (souvent inconscient) derrière la plupart de nos choix :
Quelle est la météo la plus probable et comment dois-je m’habiller ?
Quelle est la probabilité que je sois bien en couple avec cette fille et dois-je la revoir ?
A quelle heure dois-je partir sachant que je veux être sûr d’être à l’heure pour mon train ?
Au poker, à chaque move, le joueur raisonne ainsi (là aussi, consciemment ou non) :
Quelle est la proba que je gagne si je paie ?
Quelle est la proba qu’il se couche si je push, etc.
C’est pourquoi, pour le joueur de poker comme pour le non joueur, l’Intelligence Prédictive est peut être la forme d’intelligence la plus importante.

Agir en accord avec les prédictions

Dans l’article Pourquoi les gens jouent mal au poker, j’avais expliqué la difficulté qu’ont la plupart des gens à agir de manière rationnelle face à une probabilité et dans Voyage à l’intérieur du cerveau d’un fish, j’avais donné plusieurs biais à l’origine de cette irrationalité. Je me contenterais donc ici d’un court résumé et me permets de renvoyer ceux qui veulent plus de détails aux articles sus-mentionnés.

Les gens ont une tendance globale d’aversion au risque.
Ainsi, quand on propose à quelqu’un un pile ou face, il devrait accepter dès que sa cote dépasse 1:1. Dans les faits, les gens demandent en moyenne une cote de 2:1 pour accepter de jouer. Un pari du type “pile tu gagnes 15€ face tu perds 10€” est refusé par la plupart des gens.

Le tableau ci dessous détaille les cas d’aversion et de prise de risque.

Le « fourfold pattern »

Gains

Pertes

Probabilité élevée.

Effet de certitude.

95% de gagner 1 000€

Peur de la déception

Aversion au risque

Acceptation de proposition désavantageuse

95% de perdre 1 000€

Espoir d'éviter la perte

Prise de risque

Rejet de proposition avantageuse

Probabilité faible.

Effet de possibilité.

5% de gagner 1 000€

Espoir d'obtenir un gain important

Prise de risque

Rejet de proposition avantageuse

5% de perdre 1 000€

Peur de pertes importantes

Aversion au risque

Acceptation de proposition désavantageuse

 

Gains + proba élevée : on préfère être sûr de gagner 90 000€ que d’avoir 95% de chance de gagner 100 000.

Gains + proba faible : le loto en est l’exemple typique : le jeu est perdant mais on est content de parier peu avec l’espoir (irrationnel) de gagner beaucoup.

Perte + proba élevée : C’est le principe du “perdu pour perdu”. Par exemple, dans les pots où l’on est “faussement commited”. Face au all-in adverse, on peut avoir tendance à se dire “bon j’ai déjà perdu beaucoup, y’a toujours une ptite chance qu’il bluffe, même si j’ai pas la cote, perdu pour perdu, je paye.

Perte + proba faible : c’est ainsi que les assurances s’enrichissent : on prend des paris perdants pour éviter une grosse perte improbable.

Prédire l’incertain

Les gens n’ont pas seulement une fâcheuse tendance à ne pas choisir l’événement à la meilleure espérance quand ils disposent des probabilités de chaque événement et des gains potentiels associés, nous avons aussi du mal à prédire l’incertain.

Premièrement, les gens sont mauvais pour calculer les probabilités dans le cas d’expériences aléatoires. Voici deux énigmes typiques, qui piègent la grande majorité.

Pierre va prendre le bus de 8h00. Il sait que 10% du temps, le bus arrive avant 8h00. 80% du temps entre 8h00 et 8h10. Et 10% du temps après 8h10. Sachant que Pierre est arrivé à l’arrêt à 8h00 et qu’à 8h10, le bus n’est toujours pas venu. Quelle est la probabilité que le bus soit en retard ? 10% ? 90 % ? autre ?

L'arganie est une maladie qui touche une personne sur 10 000. Il existe un test fiable à 99%. Vous passez le test et il est malheureusement positif. Quelle est la probabilité que vous soyez malade ? 99% ? 50% ? autre ?

Ce qui pourrait n’être que des amusettes mathématiques a parfois des conséquences tragiques :
Sally Clark était la mère de deux bébés. Coup sur coup, les deux ont périt d’une mort subite. Elle a été condamnée à de la prison ferme car un pédiatre a affirmé “la mort subite du nourrisson touche un bébé sur 8500. Il y a donc seulement une chance sur 8500^2= 72 250 000 que Sally Clark n’ait pas tué ses enfants”.
Personne dans le jury n’a compris que la probabilité donnée par le médecin était du grand n’importe quoi.
Tout d’abord, il est probable qu’il existe des populations à risque de la MSN et que la probabilité soit donc grandement surestimée. Mais passons, car ce n’est pas le pire.
Imaginons qu’il y ait dans le monde un milliard de femmes ayant eu 2 enfants. Sur ce milliard, selon la proba de 1/72,25M, il y en a 14 qui ont vu leurs deux enfants mourir subitement.
Il est impossible d’évaluer avec précision le nombre de femmes qui tuent leurs deux enfants en prétendant deux MSN, mais comme c’est pour donner l’idée, disons qu’il y en a aussi 14 dans le monde.
Parmi les 28 femmes qui disent que leurs deux enfants ont subit une MSN, la moitié sont innocentes. La probabilité que Sally Clark était innocente n’était donc pas de 1/72,25M, mais de 50%.
Bien sûr on peut discuter des probabilités que j’ai utilisées, mais vous avez compris le principe.
Toujours est-il qu’elle a été reconnue innocente en 2ème appel (un médecin a prouvé que son deuxième enfant était mort naturellement).
Mais elle ne s’en est jamais remise. Devenue alcoolique, elle est morte d’une overdose d’alcool peu de temps après.

Deuxièmement, les gens arrivent mal à exprimer leur degré de certitude en terme de probabilités.

L’exemple des experts médiatiques

Entre 1985 et 2005, Philip Tetlock a étudié environ 30 000 prédictions de 284 experts. Les questions étaient du type : La belgique va t-elle se scinder ? Est-ce que l’apartheid sud africain va connaître une fin non-violente ?

Résultats :
Une majorité d’experts a fait moins bien que le hasard (une majorité d’évènements qu’ils pensaient arriver ne se sont pas produits et inversement une majorité d’évènements qu’ils pensaient improbables ou impossibles ont eu lieu).
Les experts les plus sûrs d’eux, aux avis tranchés, qui sont aussi les plus médiatiques, se trompaient plus que les experts plus nuancés mais moins visibles.

La nullité des experts n’est que le reflet de la nullité globale en matière de probabilité.
Au quotidien, nous utilisons le plus souvent des mots vagues pour exprimer notre certitude. “J’en suis sûr/certain”, “C’est possible/plausible/probable”
La plupart des gens n’utilisent que deux probabilités pour exprimer leur certitude : 100% (je le sais) et 50% (“je sais pas, donc c’est une chance sur deux”).
Alors que nous pouvons utiliser n’importe quel pourcentage pour exprimer notre degré de certitude : 100% signifiant savoir que c’est vrai et 0% signifiant savoir que c’est faux.

Chez un homme à l’Intelligence Prédictive parfaite, nous verrons que :
A chaque fois qu’il dit être sûr à 100%, c’est vrai.
Sur l’ensemble des fois où il dit être sûr à 70%, 70% des prédictions sont vraies.
A chaque fois qu’il dit être “sûr à 0%”, c’est faux.

Chez un homme à l’IP imparfaite, nous ne voyons pas cette concordance. Par exemple, quand il se dit sûr à 100%, il n’a raison que 85% du temps…

Illustrons ceci par un schéma :

En abscisses vous avez les probas estimées. En ordonnées le pourcentage d’évènements qui se sont avérés vrais. La courbe bleue montre une IP parfaite, celle en jaune une IP imparfaite. Plus l’aire entre les deux courbes est importante, plus l’IP est faible.

L’Intelligence prédictive, ce n’est pas savoir, c’est savoir ce que l’on sait. Il vaut souvent mieux avoir peu de connaissances et beaucoup de recul que plus de connaissances et aucun recul. Par exemple, il vaut mieux avoir le niveau NL 25 et raser en NL 25 que le niveau NL50 et se faire déchirer en NL 200... 

On retrouve deux tendances générales, inverses mais également malsaines : l’excès et le manque de confiance, montrées sur ce schéma :

Au poker, un joueur en excès de confiance en sa lecture va trop réduire le range adverse et un joueur en manque de confiance pas assez le réduire. Dans les deux cas, de mauvaises décisions peuvent être prises. Par exemple un joueur trop en confiance peut se dire “c’est sûr qu’il a les nuts, je me couche” alors qu’il avait la cote pour payer car vilain avait aussi des bluffs dans son range.
Et un joueur en manque de confiance peut se dire “bon j’en sais rien s’il bluffe ou pas, je paie” alors qu’il n’avait pas la cote car vilain n’avait que très peu de bluffs dans son range.
Parfois, le range de vilain est correctement évalué, mais c’est son comportement qu’il ne l’est pas. Un joueur trop en confiance peut se dire “si je push en bluff là, vilain va fold 8 fois sur 10” En fait vilain ne fold que 4 fois sur 10 et le bluff est catastrophique.

Dylan Evans a mis au point un test d’Intelligence Prédictive, qu’il appelle en anglais Risk Intelligence. Je vous invite à le passer, cela ne prend que quelques minutes et c’est assez fun.
Attention : ce n’est pas un test de culture-gé. Le but n’est pas d’avoir le plus de 100% ou de 0%. Le but c’est que sur l’ensemble des réponses auxquelles vous avez dit être sûr à x%, x% étaient vraies. On peut donc très bien réussir ce test en ayant une faible culture-gé, ou avoir un mauvais score en ayant une forte culture-gé.

Avant de finir, les bonnes nouvelles : si les experts médiatiques n’ont pas une meilleure IP que la moyenne, certaines catégories de la population se démarquent. Parmi les meilleurs : les parieurs hippiques, les joueurs de bridge… et les joueurs de poker.
Enfin, il est possible d’améliorer son IP, en prenant l’habitude d’utiliser les probas et en corrigeant les biais qui nuisent à nos prédictions. Nous y reviendrons dans un futur article.

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