Le Donkbet, un move pas si bête

Le Donkbet, un move pas si bête

Longtemps reservé aux joueurs récréatifs, le donkbet s'est démocratisé au fil du temps, jusqu'à devenir un move à part entière utilisé par les meilleurs regs. Freudinou vous explique comment et quand l'utiliser.


Introduction et définition
 

Définition : Mise d'un joueur (généralement au flop) alors qu'il n'a pas l'iniative préflop ou sur la street précédente. 

Exemple : Un joueur relance au bouton et n'est payé que par le joueur de grosse blinde. Après l'apparition du flop, le joueur de grosse blinde est le premier à parler et mise : il effectue un donkbet
 

Longtemps, le donk bet a été traité avec un certain dédain par la communauté poker, ce qui lui a d’ailleurs valu son appellation. En effet, prenons le cas d’école sur un flop As 7d 2h. Nous sommes en big blind et nous payons la relance préflop d’un joueur au cut-off avec Ad Td. Dans cette situation, certains d’entre-nous peuvent parfois être tenté de faire un donk bet en misant directement ici, de peur de perdre une street de value si l’adversaire ne fait pas son continuation bet, mais également de peur qu’une carte laissée gratuitement ne permette à celui-ci de repasser devant. Le problème de cette stratégie, c’est que l’adversaire va jouer de manière quasi parfaite : il va folder ses bluffs comme 98s, payer avec ses mains moyennes comme A5s (mains qui nous auraient de toute façon donné de la value), et également payer avec les mains qui nous battent comme AQ. Certes, si le coup est checké au flop, une main comme A5s a 17 % de chances de nous repasser devant d’ici la river, mais c’est un risque plus qu’acceptable si nous considérons que nous allons permettre à l’adversaire de faire un continuation bet avec tous ses bluffs et certaines mains faites moins fortes que la nôtre. 

Il existe pourtant de nombreuses situations pour donk bet et c’est même cette capacité à utiliser ce move qui peut faire la différence entre deux bons joueurs. 

 

L’approche équilibrée au poker
 

Une approche équilibrée va mixer plusieurs types de mains, comme des bluffs et des mains fortes par exemple.

La première raison de construire une range de donk bet se présente dans les pots multiway (plus de 2 joueurs dans le coup).

Voici un exemple pour illustrer cela :

Nous sommes en NL 50 dans une partie online (blindes 0,25 €/0,5 €) et le joueur UTG, un bon régulier de la limite, relance à 1,5 €, payé par le bouton qui est un joueur récréatif passif. Nous sommes en big blind avec et nous décidons de payer. Notre image est celle d’un joueur régulier assez agressif. Le flop est . Nous pouvons planifier de checker avec notre brelan, ce qui permettrait de prendre la mise de continuation bet en bluff que pourrait faire le joueur UTG. Surtout que le joueur au bouton pourrait payer avec beaucoup de mains étant donné sa tendance à la curiosité. Cependant, il y a plusieurs problèmes dans cette stratégie :

  • Pour commencer, le joueur UTG a conscience que sur une telle texture de board, face à un joueur récréatif et un joueur en big blind qui a sûrement payé de manière assez serrée, il n’a que peu de chances d’avoir suffisamment de fold equity s’il mise et il va donc probablement checker s’il n’a pas au minimum une overpaire ou un tirage.
     
  • Le joueur au BTN peut avoir percuté ce board avec un tirage ou une paire plus gutshot par exemple. De bonnes overcards comme AJ ou KQ seront même parfois suffisantes pour qu’il paye, mais il ne va pas prendre l’initiative à moins d’avoir une bonne main : une top paire au minimum. Lorsque nous checkons, il y a donc un risque non négligeable que les joueurs check également.
     
  • Check/call reste une stratégie risquée, étant donné qu’il y a des tirages, les outs des adversaires s’additionnent entre eux et leur donnent une probabilité non négligeable de nous repasser devant à la street suivante. Quand bien même ils n’auraient pas de tirage, si une quinte ou une couleur est possible au board à la turn, il sera difficile de relancer en value et le pot restera petit tout en permettant aux mains adverses de réaliser leur équité jusqu’à la river. Même un A ou un K pourrait freiner la motivation d’une main comme TT.
     
  • Check/raise a le mérite de faire grossir le pot mais affiche clairement la force de notre main. Lorsque nous faisons un check/raise contre deux joueurs, nous ne laissons que peu de doute sur ce que nous possédons, le régulier pourrait folder AA ici sans dynamique particulière.


C’est pourquoi utiliser un donk bet peut être utile ici.
Pour commencer, nous sous représentons notre main auprès du régulier. Par exemple, nous pouvons avoir une paire fragile comme 99 qui ne veut pas laisser une carte gratuite (ce que nous ferons parfois), voire un tirage que nous décidons de jouer agressivement (ce que nous ferons parfois également). Il se sentira probablement en confiance avec une overpaire. Concernant le récréatif, ce dernier pourra toujours payer avec n’importe quelle main qui aura un peu touché ce board, encore plus si le régulier paye car il aura tendance à se dire « qu’il a la cote », même avec des overcards comme KQ ou AT.

Une autre situation typique se rencontre sur un flop comme . Nous sommes en SB et nous payons une relance d’un joueur au bouton, un régulier aux tendances agressives. Ici, il peut être légitime de construire une stratégie de donk bet. En value pour commencer, avec une main comme KQ par exemple. Imaginons qu’il ouvre 55 % de ses mains au bouton et regardons les avantages du donk bet par rapport au fait de checker :
 

  • Nous sommes battus par un brelan 0,85 % du temps et il possède double paire 2 % du temps. Dans ces deux configurations, quelle que soit notre ligne de jeu, les tapis devraient partir all-in.
     
  • L’adversaire possède 8,5 % de top paire. Mais dans le lot, il y a des top paires assez faibles puisqu’il a tous les Rois suités. Une main comme ne va pas miser 3 streets en value car le joueur sait qu’il ne se fera pas payer par moins bien. Par contre, une telle main peut potentiellement payer 3 streets puisqu’à partir du moment où nous misons, nous représentons une range polarisée : nous avons soit un bluff, soit une grosse main et devient donc un bluffcatcher, c’est-à-dire une main faite pour attraper nos bluffs.
     
  • Un raisonnement similaire peut être tenu pour une main comme , puisque face à une range polarisée, il n’y a pas de grande différence entre et même s’il faut reconnaître que dans la pratique les joueurs ne le ressentent pas toujours comme tel. Notons que les secondes paires représentent 8,5 % de sa range.
     
  • L’adversaire qui est un joueur agressif va souvent avoir l’envie de bluffer sur notre donk bet, considérant que ce move représente de la faiblesse. Or, 19 % de sa range est composée de tirages, des mains qu’il considérera parfaites pour une relance.


Au total, nous aurons donc de la value contre 39 % de sa range. Mais il est vrai que nous perdons probablement 61 % des mains restantes. Ceci étant, ces bluffs n’auraient probablement misé qu’une seule fois étant donné que le board n’a quasiment aucune possibilité de carte montante. Si l’on compare cela à la taille que peut faire une mise river gagnée contre une simple paire qui aurait checké autrement, cette perte de value sera probablement compensée. Cette stratégie nous permettra également de placer de nombreux bluffs avec une main comme par exemple. C’est une main qui est désagréable à check/cal malgré une équité souvent proche des 25 %.

Le check/raise est possible, mais nous devons prendre en compte que nous faisons peut être face à une range plus forte que nous pensons lorsque l’adversaire fait un Continuation bet sur ce board puisqu’il aura tendance à checker des mains moyennes ou des purs bluffs sans équité. Le donk bet a le mérite de faire face à la range de 55 % d’open (comme nous allons le développer un peu plus loin). Notons que nous n’allons pas jouer toutes nos bonnes mains de la sorte, l’idée étant de construire une range qui pourra exploiter notre adversaire : par exemple, le fait d’avoir KQ ici dans notre range pourra nous permettre de bluffer en donk bet plus de mains que ce que la théorie nous permet. Contre un autre adversaire avec un peu trop d’ego, c’est le fait d’avoir quelques bluffs qui pourra nous permettre de relancer de nombreuses main en value.

Pour les plus motivés d’entre vous, en cas de relance sur le donk bet, spécifiquement sur un clic back (la relance minimum), vous pourrez « tester » le all-in car l’adversaire ne représente pas une main si forte dans la mesure où il voudra souvent sous jouer cette texture et que notre donk bet représente encore une fois de la faiblesse. Vous pourrez constater un certain taux de fold et vous aurez parfois la bonne surprise d’être payé par un JT que vous battez. Notez toutefois que la rédaction de Live Poker décline toute responsabilité sur les pertes face à KK et elle m’a indiqué qu’elle me transmettra automatiquement tous les mails de plainte et demandes de remboursement à ce sujet.

 

L’approche exploitante au poker

Dans l’absolu, toutes les approches sont faites pour exploiter nos opposants mais nous allons nommer ainsi les approches qui en théorie pourraient être facilement contrées mais qui en pratique le seront rarement. Il s’agit des stratégies dans lesquelles notre range n’est constituée que d’un seul type de mains.

Imaginez un instant que vous êtes en position UTG et vous ouvrez une main comme . Un joueur récréatif, qui joue 35 % des mains, vous paye au Bouton. Le flop est . Vous savez avec l’expérience que sur un board aussi sec, l’adversaire n’aura le plus souvent pas percuté et que vous pourrez faire un continuation bet à 2/3 du pot de manière profitable. Même s’il défend n’importe quelle paire, vous aurez 54,5 % de fold equity alors que vous n’en avez besoin que de 40 %. En fait, il n’y a que s’il défend ses hauteurs As que le Cbet ne devient pas rentable immédiatement.

A présent, si nous réfléchissons et que nous dépassons la barrière psychologique de ce qui a été fait préflop, cette situation est la même que celle ou nous payons en Big blind avec un joueur qui ouvre au Bouton 35 % des mains. Il lui sera difficile de défendre suffisamment, aussi illogique que puisse être notre move comme nous l’avons expliqué en introduction.
Un joueur récréatif qui n’a pas touché va en général simplement folder. En réalité, beaucoup de regs vont être décontenancés ici. Ils ont une bonne image de vous et ils ne comprennent pas pourquoi vous faites d’un coup cette mise incohérente. De plus, la probabilité qu’ils fassent des erreurs dans une situation qu’ils rencontrent peu souvent et que vous avez sérieusement étudié est assez grande.
Peu d’entre eux parmi les réguliers de niveaux moyens seront capables de relancer. Certains vont payer avec une main comme TT en se disant que relancer chasserait vos bluffs et vont finir par se raviser et folder si vous misez une seconde fois à la turn. Ce que vous pourrez faire sur les trèfles, les 4 et les 5. Si vous sentez de la faiblesse en face (Stat de Went to showdown basse, timing tell…), l’overbet à la turn est un move qui mérite d’être testé et vient parfois à bout de top paires mais avec le même avertissement que précédemment. Contre un joueur régulier, vous pourrez faire perdurer cette stratégie un temps en misant par exemple un brelan de 88 à une certaine fréquence. Choisissez par exemple une couleur pour la semaine, les trèfles par exemples, et misez les brelans de 88 qui ont un trèfle. L’important n’est pas forcément d’être équilibré mais de le paraître. Votre adversaire se souviendra que vous avez fait ce move de « donk » avec 88 ce qui lui fera faire encore des erreurs, le dissuadera de relancer vos bluffs tout en vous permettant de continuer à prendre la ligne la plus rentable avec la majorité de vos brelans, à savoir le check/call qui gardera la majeure partie de la range adverse.

Continuons une dernière fois cet exercice de projection. Vous êtes en MTT short handed, les blinds sont de 2000/4000 avec 500 d’antes. Votre tapis est de 82 000 jetons, soit environ 20 blinds.
Vous êtes au Bouton avec , le joueur de small blind semble être un régulier, il est 25/19 sur 30 mains et la big blind est un joueur que vous connaissez, 15/12, 112 000 jetons, avec un style direct peu créatif. Une bonne situation de vol de blinds, vous ouvrez donc à 8000. Les deux joueurs en blinds paient. Le flop est et le pot est de 27 000. Le joueur en small blind donk bet à 17  800 et la big blind folde. Un move qui vous paraît illogique comme nous l’avons expliqué en introduction, vous vous dîtes que finalement la small blind doit être un reg d’un faible niveau qui doit sûrement faire cela avec une main comme top paire voulant se protéger.
Certes, il peut bluffer, mais payer pour float est hors de question car vous êtes potentiellement all-in dès la turn. Il peut aussi faire cela avec une seconde paire, comme on le voit parfois, et qui pourrait folder sur une relance mais vous n’en êtes pas certain. Allez-vous partir all-in avec votre main sans équité ? Cela fait 3 heures que le tournoi a commencé et la table finale approche avec un gain potentiel à 4 chiffres. Est-ce le moment de partir all-in avec vos 18 blinds restantes contre un inconnu, qui fait un sizing de joueur récréatif prêt à investir son tapis ? La réponse est probablement non. Si vous foldez, vous pourrez encore tenter de voler les blinds, attendre une meilleure main ou faire des des 3bet/re-steal.  

Vous l’aurez compris, vous êtes le joueur en SB. Dans cette configuration, vous savez que la range du joueur en big blind est composée de paires, de bon brodways et éventuellement de suited connectors. Il ne paiera qu’avec une top paire au minimum, ce qui est une petite partie de sa range. Le joueur au bouton quant à lui semble être un reg qui va quasiment toujours essayer de voler. S’il ouvre 60 % des mains, il n’aura top paire ou mieux que 21,5 % du temps. Autrement dit, il ne pourra défendre qu’une fois sur 5. Vous aviez et les deux joueurs foldent.

Cette stratégie peut être utilisée régulièrement en MTT ou l’historique entre les joueurs met du temps à se mettre en place. Elle pourra être utilisée de temps en temps en cash game mais attention à ne pas en abuser, sans quoi votre stat de donk bet se mettrait à décoller, ce qui finirait probablement par se retourner contre vous.

Bien que donk bet reste un move marginal dans de nombreuses configurations, il faut parfois dépasser un certain blocage psychologique, celui de respecter le relanceur préflop, afin de l’intégrer dans votre jeu, ce qui aura le mérite de sortir vos adversaires des situations qu’ils ont l’habitude de jouer. Vous ferez parfois des erreurs coûteuses, mais c’est le prix à payer pour développer un arsenal technique que vos opposants n’auront pas.

 

 

 

Poker Management System

Présentation de Freudinou


Après un Master en Psychologie Clinique, j’ai fait du poker ma profession en 2013, date de mon entrée comme coach chez Poker Académie.
J’évolue principalement en NL 50 et je coache les joueurs de micro-limites. Limites qui restent encore très rentables sur le .fr.
Aussi bien sur les tables que lors des coachings, j’essaye d’avoir une approche méthodique et adaptative avec une place spécifique concernant l’importance du mental au poker.

 

SA FICHE COACH

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