Le Théorème Fondamental du Poker

Le Théorème Fondamental du Poker

Dans l'excellent « Theory of Poker » (à commander ici dans la boutique), David Sklansky énonce le Théorème Fondamental du Poker. Bien qu'énoncé de façon assez abstraite, je crois qu'une bonne compréhension de ce théorème est très utile au joueur aspirant au plus haut niveau.

Le Théorème.

Commençons par traduire ce fameux théorème.

Chaque fois que vous jouez votre main différemment de ce que vous l'auriez jouée en connaissant les cartes adverses, vos adversaires gagnent de l'espérance et chaque fois que vous jouez votre main de façon identique à la façon dont vous l'auriez jouée en connaissant les cartes adverses, vos adversaires perdent de l'espérance. De même, à chaque fois que vos adversaires jouent leur main différemment de la façon dont ils l'auraient jouée en connaissant vos cartes, vous gagnez de l'espérance; et chaque fois qu'ils jouent leur main de façon identique à la façon dont ils l'auraient jouée en connaissant votre main, vous perdez de l'espérance.

Les fautes au sens du Théorème du Poker.

Un joueur commet une faute au sens du Théorème Fondamental du Poker s’il joue sa main différemment ce qu’il ne l’aurait joué en connaissant les mains adverses. Nous parlons ici d’un type de faute bien particulier. Par exemple, au Texas Hold’em, si vous payez à la dernière avec couleur à l’As, et que votre adversaire a Quinte Flushe, vous avez commis une faute au sens du Théorème du poker, même si il est fort probable que vous ayez joué le coup optimal en terme d'espérance contre l'espace de main de votre adversaire.

Interlude.

On notera ici que le Théorème Fondamental du Poker (TFP) n’est pas correct à 100%. Par exemple, dans un pot multi-joueur, un joueur peut vous caller alors qu’il n’aurait pas callé en connaissance de vos cartes, tout en vous faisant malgré tout perdre de l’équité au profit d’un troisième joueur. Il existe quelques autres exceptions qui rendent ce Théorème inexact, mais qui relève plutôt du point de détail, et nous n’en parlerons pas ici.

Comprendre le Poker à travers le Théorème Fondamental.

Il existe deux sortes d’erreurs fondamentales commises par les bons joueurs de PokerEn y regardant de plus prêt, il existe deux sortes d’erreurs fondamentales commises par les bons joueurs de Poker (par bon joueur, nous entendons ici les joueurs qui commettent peu d’erreur de cote). Le premier type d’erreur est une mauvaise évaluation de l’espace de main de votre adversaire. Par exemple un adversaire vous sur-relance à tapis au premier coup d’une partie de Texas Hold’em No-Limit, et vous payez avec QQ, pensant que votre adversaire peut avoir joué de la sorte avec 99 ou plus, et AJ ou plus. En réalité, votre adversaire est la serrure de la table, et ne sur-relance qu’avec AA, KK ou AKs. Vous avez commis une faute, parce que vous avez mal estimé son range de main (notez en passant que vous avez également commis une erreur au sens du TFP). Le deuxième type d’erreur n’est en réalité qu’une erreur au sens du TFP. C’est le genre d’erreur que vous commettez lorsque vous jouez correctement en moyenne contre l’espace de main de votre adversaire, mais qu’il n’est malheureusement pas là où vous l’attendez sur cette espace de main. Par exemple vous avez brelan de 8 sur un tableau de , et votre adversaire mise deux fois la taille du pot et son tapis à la dernière. Vous le connaissez parfaitement, et savez qu’il a soit AA soit KK. Vous recevez une cote de 1.5-pour-1, et la cote pour qu’il ait AA est de 2-contre-1 (car il y a un K au tableau). Vous payez, mais il a malheureusement KK. Vous avez commis une faute au sens du TFP.

Tout l’art du poker de haut niveau est de comprendre dans le détail ces types d’erreur, et de gagner le combat des « espaces » de main.

Brouiller les pistes quant à votre espace de main.

Jouer de temps à autre une main que vous ne joueriez pas depuis la positionSi vous jouez fréquemment avec les mêmes adversaires, ils auront, au bout d’un certain temps, une assez bonne idée de votre style général, et notamment du genre de main que vous jouez en fonction de votre position. Un exemple classique de manipulation de vos adversaires consiste à jouer de temps à autre une main que vous ne joueriez pas depuis la position. Par exemple, si vous êtes un joueur de No-Limit assez tight, relancer de temps en temps avec une main du genre under-the-gun peut avoir un effet bénéfique sur votre partie. En effet, vous brouillez les pistes de deux façons quant à votre espace de main : vos adversaires, voyant votre main, vont mentalement modifier votre espace de main possible en assignant une probabilité non-nulle à de nombreux connecteurs assortis (alors qu’UTG, vous ne jouez ce genre de main qu’une fois l’an), et vont réduire la probabilité assignée aux mains que vous jouez réellement, les grosses cartes et grosses paires.

Un exemple classique de manipulation de l’adversaire.

Vous jouez une partie de NLHE 10-20$, avec tapis effectif de 4,000$.

Préflop :
Un joueur solide relance à 70$ UTG, deux joueurs passent, et vous payez au Bouton avec . Le Petit Blind passe, le Gros Blind paye.
Notez en passant que l’une des raisons de jouer cette main et que vous avez une bonne idée de l’espace de main de votre adversaire principal, alors que de son point de vue, vous pouvez avoir payé avec une grande variété de mains.

Flop : (3 joueurs, 220$).
GB checke, UTG mise 150$, Vous relancez à 600$, le GB passe, l’UTG paye.
Votre relance a deux effets importants. Le premier est que vous ne laissez pas de carte gratuite à un tirage couleur. Le deuxième est que vous avez effectué une relance conséquente, un peu atypique pour un joueur disposant de couleur. Du point de vue de votre adversaire, vous avez probablement une bonne main, minimum paire maximum, peut-être brelan ou couleur, avec quelques semi-bluff de l’As sec si il ne l’a pas en main. De votre coté, votre adversaire, un joueur solide, a payé. Il a soit l’As sec, soit une grosse paire en main, probablement avec un Pique, ou une couleur. Vous êtres quasi-certain qu’il n’a pas brelan, puisqu’il ne jouerait pas une paire de Deux ou de Quatre dans cette position, et que si il avait un Brelan de 9, il n’aurait peut-être pas misé autant.

Turn : [] (2 joueurs, 1,440$).
UTG checke, Vous misez 800$, UTG paye.
Au Turn, vous ne misez que la moitié du pot. L’idée est double. Si il a l’As de pique, cette mise ne semble pas pouvoir provenir d’une couleur, puisqu’à priori vous protégeriez votre main de facon plus agressive. En réalité, vous essayez de lui faire commettre une erreur au sens du TFP. Si il a l’As de cœur sec, il sera tenté de payer avec une cote de 2.8-pour-1, plus de la cote implicite. En réalité, il ne joue que 6 outs (puisque le vous donne quinte flushe), et ne dispose d’aucune cote implicite.
Par ailleurs, vous brouillez les pistes quand à votre espace de main, préparant un value bet à la dernière. Vous « préparez » une faute au sens du TFP.

River : [] (2 joueurs, 3,040$).
UTG checke, Vous misez 1,000$, UTG paye.
Vous avez peur qu’au cas où vous misiez tapis, il prenne la décision correcte de passer. Vous l’incitez une fois de plus à commettre une faute.

Showdown : UTG avait , et vous gagnez un gros pot.

Conclusion : comme de nombreux joueurs intuitifs le savent déjà, le poker est avant tout un jeu de manipulation de l’adversaire. Votre but sera de lui faire constamment jouer des coups différemment de ce qu’il aurait joué en pleine connaissance de vos cartes. Néanmoins, vous devez également prendre gare de ne pas vous-même commettre des fautes au sens du FTP au long du chemin (ou au moins de les « troquer » contre des fautes potentiellement plus importantes).

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