Quand Civitas attaque Kronenbourg les chrétiens trinquent…
J’ironisais dans mon précédent billet sur les métalleux qui avaient pris au sérieux les billets anti Hellfest de Brave Patrie. A leur décharge, certains sites de la réacosphère arrivent à dépasser en ridicule leur propre parodie.
En témoigne ce montage surréaliste, commis par l’Institut Civitas, en grande forme malgré toutes les critiques, y compris du côté des cathos , que lui a values son action dans le cadre de la polémique autour de l’oeuvre « Piss Christ » exposée à Avignon en avril dernier:
Certains de mes lecteurs, qui se reconnaitront, se (com)plaisent à louer dans ce genre d’initiatives « une parole libérée », qui sème au fil des années des germes de vérité dans l’opinion publique, et qui à moyen terme permettra une prise de conscience des français et de leurs élus sur les méfaits de la « cathophobie », dans ce cas précis du comportement sataniste et blasphématoire de certains groupes.
Faisons un bilan d’étape de cette grandiose entreprise d’éveil des esprits aux méfaits du Hellfest:
En réaction à cette initiative de Civitas, Les Inrockuptibles titrent « En croisade contre le Hellfest, des cathos s’en prennent à Kronenbourg ». Dans leur article, on peut lire des perles telles que.
« [le président de l’Institut Civitas] a personnellement arrêté de boire de la Kro, mais quand on lui signale que les vins de la Loire subventionnent aussi le festival, il hésite. Plus difficile de faire une croix sur le Muscadet. »
Ou:
« Du côté des festivaliers, cette agitation – plutôt anecdotique – commence à agacer. Mais Yoan Le Nevé, co-organisateur, reste compréhensif. L’année dernière, un débat avait même été organisé avec des prêtres, des exorcistes et des musiciens « satanistes ». Et finalement, en plus d’un gros coup de pub, la campagne des intégristes sert son propos : « Heureusement que le rock fait encore un peu peur aux conservateurs ! » »
Ou encore:
« Jean-Pierre Coudrais, le maire de Clisson, est lui ravi de l’évènement qui apporte « un rayonnement international à la commune. Il y a des gens qui viennent de 50 pays différents ! » Il tient à signaler que la commune « va tout faire » pour conserver la manifestation, qui va devoir déménager l’année prochaine, à la suite de la construction d’un collège sur les lieux des concerts. »
En gros, Civitas se ridiculise aux yeux des médias, ridiculise l’ensemble de l’Eglise catholique avec lui (encore…), et leur donne l’occasion d’oublier une fois de plus que le débat de l’an dernier a été organisé par une radio catholique et non par le Hellfest. Autant dire qu’il ne réussit pas du tout à créer cette supposée « prise de conscience », de même que ses comparses anti Hellfest.
Son initiative contre Kronenbourg est d’autant plus grotesque et malvenue que dans un courrier à l’un des signataires de la pétition du « Collectif pour un festival respectueux de tous », le sponsor écrit:
« S’il devait s’avérer une atteinte aux lois de la République, Brasseries Kronenbourg respecterait toute décision de justice qui serait rendue et qui lui serait opposable. »
Or, les anti Hellfest aiment à répéter qu’ils ne s’attaquent pas spécifiquement au métal mais dénoncent « les appels à la haine » (délit susceptible de sanctions pénales donc) présents selon eux dans les paroles de certains groupes présents au Hellfest. La réponse de Kronenbourg ne s’oppose donc pas en substance à leur démarche (mais sont-ils à une contradiction près?), mais rappelle utilement que:
"Premier Brasseur de France, Brasseries Kronenbourg, élabore ses bières en Alsace depuis 347 ans. Une longévité qui repose sur des valeurs et des engagements forts notamment en matière de consommation responsable, de respect de l’environnement et des différences, de soutien à la culture. Dans ce cadre, nous sommes très attachés à la liberté d’expression, droit fondamental de la République, qui s’impose à tous. "
Nous sommes dans un Etat de droit, et les restrictions parfois nécessaires apportées à cette liberté d’expression doivent se fonder sur le droit, sur des arguments juridiques sérieux, voire des décisions de justice, et non sur des généralités et des clichés sur les groupes présents au Hellfest, et encore moins sur des pressions et des menaces. A ce titre l’attitude de Kronenbourg parait plus responsable et citoyenne que celle des lobbies anti Hellfest.
Au bout de quatre ans de polémiques, les actions contre le Hellfest échouent donc dans une large part à infléchir le point de vue des médias et des sponsors sur le Hellfest. Elles n’impressionnent pas non plus les responsables politiques locaux. Ainsi, on peut lire dans un article de L’Hebdo de Sèvres et Maine, reproduit sur le site du « Collectif pour un festival respectueux de tous »", qui porte sur le déménagement du Hellfest sur un autre site de Clisson, le passage suivant:
« Jeudi dernier les élus clissonnais étaient appelés à voter leur aide. Celle-ci devrait atteindre les 60 000 euros. […] Le conseil municipal a appouvé la délibération. Un seul élu s’est abstenu ».
Une abstention n’étant pas une opposition, j’en conclus que la fameuse prise de conscience par les politiques et l’opinion publique des méfaits de la cathophobie que les actions contre le Hellfest étaient censées permettre depuis toutes ces années est pour l’instant un échec total.
Tout cela ne signifie pas qu’il n’y a pas des interrogations légitimes à poser sur l’hostilité au christianisme très présente chez certains groupes, notamment de black metal. En tant que catholique, je suis inquiet lorsque je vois des métalleux ridiculiser le métal chrétien par principe, au lieu de juger chaque groupe au cas par cas sur ses qualités musicales, ou lorsque je lis qu’un groupe de BM comme Old’s Man Child a refusé de jouer avec Extol parce que c’est un groupe chrétien, qu’Enslaved a annulé un concert avec Slechtvalk pour les mêmes raisons suite aux pressions de certains fans, ou encore que Cacophonous Records a pu virer un groupe d’unblack aussi talentueux qu’Antestor ou ne pas lui payer ce qui lui était dû là encore sous prétexte des convictions religieuses de ses membres. Tous ces évènements, malheureusement récurrents, sont autant de raisons pressantes et légitimes de construire un dialogue autour des relations entre christianisme et métal.
Seulement, il me parait de plus en plus évident que les actions menées contre le Hellfest non seulement ne permettent pas de faire avancer ce dialogue, mais rendent à ceux des métalleux qui le refusent un fier service, et ce pour deux raisons:
- Il est facile de trouver des exemples de situations où des groupes chrétiens ont été marginalisés ou empêchés de jouer du fait de l’extrémisme et des préjugés d’une minorité de métalleux. Au lieu de partir de ces exemples concrets pour montrer que les chrétiens sont en droit d’émettre certaines inquiétudes, et de proposer un dialogue serein, argumenté et respectueux des convictions de chacun, les anti Hellfest préfèrent répondre au mal par le mal, et se faire à leur tour les agresseurs. Alors qu’il existe des cas authentiques de « christianophobie » dans l’histoire du métal, dont l’analyse critique pourrait susciter cette prise de conscience des métalleux et du grand public qu’ils appellent de leur voeux, ils préfèrent se focaliser sur un festival qui, sauf preuve du contraire, ne s’est pas rendu coupable jusqu’ici de tels abus. Alors que dans d’autres cas les chrétiens étaient les victimes, ils nous font passer ici pour les agresseurs, et confirment la partie des métalleux et de l’opinion hostile au christianisme dans ses idées préconçues. C’est un cercle vicieux, où les préjugés et les excès des uns viennent nourrir ceux des autres et inversement.
-Cette polarisation sur le Hellfest ne permet pas d’énoncer clairement les vrais problèmes ni de poser un débat constructif. Le Hellfest n’est après tout qu’un festival de musique, certes important, en province, et même parmi les tradis, on trouve des gens qui se demande pourquoi y consacrer autant de temps et d’énergie, alors qu’il y a des problèmes beaucoup plus graves et urgents, ainsi ceux qui touchent à la bioéthique, aux inégalités, aux persécutions dans certains pays du proche et moyen orient,… Les organisateurs du festival ne sont pas forcément non plus les interlocuteurs qui ont le plus de marge de maneuvre pour dialoguer, de même que les élus locaux d’ailleurs: il y a trop d’enjeux financiers, musicaux, organisationnels et même politiques pour q’un débat amorcé de cette manière puisse être serein et constructif. Et il est illusoire de croire que la censure, même si elle a lieu (extrêmement peu probable dans les circonstances actuelles) de ce festival va permettre l’évolution des mentalités les plus hostiles au christianisme. Au contraire, un tel coup de théâtre, qui mettrait un terme à l’un des festival de métal les plus importants d’Europe, serait une blessure qui exacerberait pendant des années les préjugés contre l’Eglise, et rendrait beaucoup plus difficiles encore les efforts des métalleux chrétiens qui essaient de changer les choses de l’intérieur.
C’est pourquoi je suis désormais convaincu qu’il est urgent de mettre un point final à cette polémique contre le Hellfest, qui a heurté trop de monde depuis trop longtemps pour pouvoir vraiment devenir juste et constructive, et reprendre le problème à zéro, en posant de manière globale, ferme, et appuyée sur des exemples précis et documentés, la question des rapports très contrastés et ambigus (entre rejet et fascination) du métal au christianisme depuis ses débuts. Car lutter contre la « cathophobie », c’est très bien, mais le faire sans discernement ni pragmatisme ni connaissance sérieuse du sujet ni prospective sérieuse sur les conséquences réelles à moyen et long termes des différentes initiatives lancées, c’est finalement un remède pire que le mal…
bon les métalleux faut stopper la bibine