Mon festival de Cannes, où la découverte d’un nouveau monde
Pour un joueur pro, “l’ouverture” du marché… ou plutôt la “régulation” du marché n’est pas l’affaire du siècle. Je disgresse d’entrée mais je tique toujours lorsque j’entends parler d’ouverture au sujet des jeux en ligne.
D’abord parce que ce marché était de facto ouvert depuis de nombreuses années, puisque tout le monde y avait librement et “ouvertement” accès. Ensuite, parce que lorsqu’il s’agit de cloisonner un marché entre joueurs d’un même pays, outre la négation même de ce que représente Internet (une ouverture au monde), le terme de “fermeture” semble plus approprié.
Cerise sur le gâteau, cette “ouverture-fermeture” s’accompagne d’une règlementation quelque peu distordue, laquelle exige qu’un joueur français ne joue pas sur des sites étrangers… mais accepte que les étrangers viennent jouer sur nos sites !
Comme dirait mon ami Achille Talon : d’un naturel peu enclin aux supputations fantaisistes et formé à l’école d’un cartésianisme spartiate… je me demande si cette règle est vraiment tenable sur le long terme.
Ce qui me frappe également, c’est la précipitation dans laquelle cette “ouverte-fermeture” du marché s’est mise en place. Précipitation aux niveau des pouvoirs publics évidemment, Coupe du monde de foot oblige. Mais aussi et surtout précipitation au niveau des rooms de poker. Histoire de se positionner d’entrée de jeu, beaucoup d’entre elles ont “ouverts” leurs portes aux clients dans un état d’impréparation patent. Des histoires de bugs, de softs défaillants et de service client aux abonnés absents fleurissent sur les différents forums francophones depuis maintenant plusieurs semaines.
Pour ma part, je me suis inscrit sur l’un des principaux sites du marché français que je ne citerai pas par charité chrétienne. Et par intérêt (on ne sait jamais, dès fois que ce site voudrait me sponso plus tard…
). Peu après mon inscription, j’ai envoyé un mail requérant, notamment, une augmentation de ma limite de dépôt. J’ai reçu une réponse… huit jours après. Un mail type qui ne répondait en outre pas totalement à ma question initiale ! Second mail de ma part et réponse cette fois-ci quatre jours après. Ce qui est certes deux fois mieux, si l’on veut voir le bon côté des choses…
Histoire de pimenter un peu la sauce, ce même service client m’a spamé quasi quotidiennement, afin que je leur envoie dans les trente jours les justificatifs légaux (RIB + justif d’identité). Les justificatifs enfin envoyés, j’ai continué à recevoir pendant quatre jours ce même spam de rappel !
Résultat, j’ai dû joué jusqu’à présent pas plus d’une cinquantaine de mains sur une room en fr. Cela est valable pour toutes les entreprises de service. Mais lorsque vous payer un service ou un abonnement régulier, vous êtes en droit d’attendre un SAV fiable et rapide. Et lorsque vous jouez à mes limites et confiez plusieurs milliers d’euros à un site, vous êtes particulièrement pointilleux sur cet aspect des choses. Et devez compter sur un service client béton en cas de soucis… Il ne s’agit pas d’un abonnement à dix euros par mois ici.
Je ne pinaillerai pas sur la procédure d’inscription et même de connection au site, que je qualifierai pudiquement de fastidieuse. Comme le fait de devoir à chaque fois entrer sa date de naissance. Ce truc est quand même d’une ineptie et d’une hyprocrisie totale ! Un peu comme sur les sites de vidéo pour “adultes”, lorqu’on vous demande de cliquer sur “yes” pour certifier que vous êtes bien majeur. J’aimerais bien connaître le pourcentage statistique - misclick exclu - de ceux qui appuient benoîtement sur la touche “no”. Je tiens évidemment à préciser que je n’ai jamais de ma vie surfé volontairement sur un site de ce genre. Mais qu’une fois, en voulant taper l’adresse web d’un site de golf, j’ai malencontreusement inversé quelques lettres et suis, totalement par hasard, tombé sur un site… bon j’arrête là, je m’enfonce.
Bref, tous ces tatonnements, conséquences d’un lancement baclé, devraient rapidement rentrer dans l’ordre. Du moins je le souhaite pour les rooms qui se sont lancées sur le marché français. Dans un secteur tout de même très concurrentiel, c’est la loi du marché, impitoyable et darwinienne qui prévaudra. Car seul les meilleurs (en terme d’offre, de rake, de traffic et de service client) s’en sortiront. Et les autres seront condamnés à disparaître ou à être absorbés par un plus gros poisson. Il n’y aura en tout cas clairement pas de la place pour tout le monde, vu l’offre et la demande.
L’autre souci pour les gros joueurs online français, tient à la faiblesse prévisible du traffic et à l’augmentation du rake. Je lis souvent que la taxe de l’Etat est compensée par la baisse du niveau moyen et l’arrivée de nouveaux fishs. Si cet argument est recevable pour les limites plus basses, il l’est helàs beaucoup moins pour les limites les plus hautes. D’abord parce que rares sont les nouveaux joueurs qui décident d’entrée de s’attaquer au plus hautes limites. Un quidam qui découvre le poker online va plutôt jouer en NL2, voire en play money (même si jouer au poker pour du beurre, c’est un peu comme jouer au tennis sans filet ou au golf sans trou…). Il va plus rarement s’attaquer à la NL1000 d’entrée de jeu.
Du coup, comme on pouvait le prévoir, le traffic à partir de la NL400 est tout de même très limité. Et je connais pas mal de grinders qui sont obligés d’évoluer à des limites plus basses qu’il y a quelques semaines, avant “l’ouverture-fermeture”. Avec pour conséquence une baisse non négligeable de leurs revenus. En d’autre terme, il est bien plus intéressant de générer un winrate de 4 BB sur la NL1000 que de claquer un 12 BB. sur la NL200.
Pour le joueur pro, s’offre donc désormais trois alternatives :
1/ Accepter une diminution, voire une chute, de ses revenus dans le contexte franco-français.
2/ Trouver une domiciliation à l’étranger.
3/ Jouer davantage en cercle.
J’ai testé pour vous la troisième alternative cette semaine. En vacances actuellement à Opio, dans l’arrière-pays cannois, je me suis rendu au casino de la Croisette mardi et jeudi soir, pour deux sessions d’environ trois heures sur une NL1000 (blinds 10/5). Ou plutôt une 250, comme ils disent, car c’est le minimum qu’il faut mettre pour s’asseoir à la table. Un bilan pour l’instant maussade puisque après avoir gagné 420 euros le premier jour, je me suis fait delester de 680 euros hier soir.
Autant vous le dire tout de suite, j’ai vraiment un gros problème avec le jeu en live. Pour le joueur online que je suis, qui a coutume de multitabler sur quatre tables… une table de dix joueurs avec un croupier qui distribue les cartes, compte les jetons, calcule la taille du rake sur son écran et mélange les cartes (sans parler des joueurs qui mettent trois plombes à prendre leur décision), c’est un peu comme prendre un Paris-Sydney sans escale, regarder les “10 Commandements” ou assister à un match du PSG. C’est long, très long, trop long.
Evidemment, quand vous venez de faire 20 bornes en pleine nuit dans les petites routes escarpées et désertes des hauteurs d’Antibes (où la tentation est dangereusement grande de se prendre pour Sébastien Loeb), vous ne pouvez pas lâcher l’affaire au bout d’un quart d’heure. Difficile de faire des micro sessions de quelques minutes, comme il m’arrive de le faire parfois sur le Net.
J’ai également toujours une petite appréhension sur le type d’adversaires que je vais affornter. Non pas en terme de niveau de jeu, mais plutôt en terme de comprtement. J’ai trop souvent été atterré par les manières de certains joueurs dans les cercles parisiens. Entre ceux qui parlent trop, ceux qui parlent mal, ceux qui nous font partager leur analyse technico-stratégique sur le coup qui vient de se disputer et ceux qui insultent le croupier… il m’est arrivé plus d’une fois de quitter les lieux du crime en craignant de sombrer dans une misanthropie Houellebecquienne.
A Cannes toutefois, je dois dire que les deux soirées se sont bien passées sur ce plan-là. Si l’on excepte la dame-pipi qui a voulu m’égorger lorsque j’ai quitté les lieux dont elle avait la garde sans lâcher la moindre pièce (bon j’éxagère un poil là, mais j’ai toujours eu pour principe d’uriner gratis, et je m’y tiens).
Un autre problème avec le poker en casino, tient à ce que j’écris un peu plus haut. Certes, le niveau est bien moins élevé qu’online, je vais y revenir. Mais le ratio nombre de mains joués/ heure est si faible qu’il entraîne une grosse variance. Et nécessite surtout de ramer beaucoup plus d’heures pour pouvoir s’approcher du revenu online. Travailler plus pour gagner moins en somme.
D’autant que les shorts stackeurs sont très nombreux. Le premier jour, j’ai eu le malheur de m’installer à une table en train de s’ouvrir. Le couteau entre les dents, je me suis cavé max avec mes 100 BB. Sauf que presque tous les autres n’avaient que 25 BB de tapis ! Eh oui, et ce n’est pas illogique, à une 250… on met 250. Résultat : il faut attendre près de 2 heures de destackage et de reload pour que le jeu devienne un peu deep à table.
J’ai discuté hier avec un pro de casino local, apparemment poker académicien à ses heures puisqu’il m’avait reconnu via ma (superbe) photo sur le site. Il m’a confié gagner de 3000 à 4000 euros par mois en moyenne en jouant 5 nuits par semaine sur la 5/10. J’ignore combien de temps il reste à table à chaque fois, mais si mes calculs sont bons, cela fait à peine une cave par semaine.
Il faut évidemment avoir le coeur bien accroché, car à ce rythme, la moindre horreur impacte sensiblement votre résultat mensuel. Et évidemment, vu le niveau de jeu global, l’épouvante à toute sa place dans ces lieux de débauche.
J’ai par exemple vu un short stack deux barrels bluffs face à quatre joueurs avant d’abandonner son agression à la river avec ses 20 euros restant en touchant une troisième paire… Une main qui s’avèrera toutefois être la meilleure des quatre !
Mieux encore, j’ai vu un joueur miser à la river en début de parole face à trois aversaires 150 euros dans un pot de 230. Se faire relancer à 500 par l’avant dernier adversaire, jusque-là particulièrement passif, et insta call avec deux bottoms pairs sur un board particulièremet connecté (avec deux quintes potentielles). Evidemment l’autre larron avait deux paires max. Et notre DoubleBottomPairMan de se lever en maugréant “Je suis vraiment noir à ce jeu”. Je me demande encore ce qui - du coup ou de l’insta call - m’a le plus choqué ici.
Dans ce monde étrange, la moindre paire max est fortement surjouée, peut importe le kicker. Ce n’est pas un mot français de toute façon. J’ai ainsi vu mon voisin de gauche lâcher près de 650 euros avec son A7o face à deux joueurs sur un board connecté qui, il est vrai, contenait un A…
Le jeu n’est vraiment pas le même qu’online, où il faut faire preuve de créativité et d’agressivité. Au casino, la principale vertu est incontestablement la patience et la discipline. Le rythme est tellement lent qu’on est tenté de voir un maximum de flops. D’où une collusion frontale entre ce que Freud appellerait le principe de plasir et le principe de réalité. Pour prendre du plaisir au poker, il faut jouer. Le problème, c’est que pour gagner au poker sur une table de Full RIng, il faut peu jouer. Bref, il faut choisir.
La recette pour gagner au casino est finalement assez simple : jouer un jeu tight, classique, sans fioritures. Cela devrait largement suffire face à l’armée de loose (urs) calling stations assis autour de vous. Plus l’adversaire est faible, plus il faut jouer simplement et ne bluffer que rarement. SI vous réussisez un bluff, montrez-le. Face à un adversaire avisé, ce n’est pas forcément une bonne idée, car cela va lui donner des infos sur votre façon de jouer. Un fish lui s’en moque. Tout ce qu’il a vu c’est que vous avez bluffé. Même si c’est votre premier bluff depuis 3 heures. Vous vous ferez payer très facilement toutes vos belles mains par la suite, et ce jusqu’au bout du monde. Encore faut-il que votre adversaire ne touche pas sa backdoor quinte à la river, comme ce fut le cas hier soir…


