Je n’ai pas hésité longtemps lorsque Nicolas m’a proposé, la semaine dernière, de commenter l’actualité du poker en toute liberté. La possibilité de donner son avis sur des sujets qui me tiennent à cœur, et concilier son ancien et son nouveau job… cela se refuse difficilement, non ?!
Pour ma première main de l’année, ce serait sans doute une véritable «faute de goût » de ne pas aborder LE SUJET d’actualité par excellence : l’ouverture du marché des jeux en ligne. Alors qu’il y a quelques heures nos députés ont adopté définitivement la fameuse loi.
Vous vous en doutez, je ne fais pas partie de ceux qui sautent de joie face à cette perspective. La situation actuelle me convenait très bien et la régularisation du marché - qui devrait être effective début juin - risque de chambouler fortement ma vie de joueur de poker. Reste à voir concrètement de quelle manière…
Mais autant vous le dire tout de suite, si d’un point de vue strictement égoïste, cette loi ne me dit rien qui vaille. D’un point de vue éthique et économique, je ne peux pas être opposé à cette régularisation.
D’abord parce qu’il est toujours préférable d’encadrer un secteur comme le jeu (qui plus est sur Internet), pour éviter un certain nombre de dérives et magouilles potentielles. Et ce, même si l’autorégulation qui est actuellement de mise semble plutôt pas trop mal fonctionner. Dans un secteur si concurrentiel et avec un bouche-à-oreille si puissant (les forums spécialisés), il est difficile pour une room et pour un joueur de ne pas respecter les règles élémentaires de probité sans y laisser ses plumes et devenir tricard. On l’a vu il y a quelques années avec Absolute Poker…
Et d’un point de vue économique, il est tout à fait légitime qu’un Etat souhaite profiter d’une activité si lucrative, laquelle lui échappait totalement jusqu’à présent.
Reste que pour qu’une loi soit respectée, il faut qu’elle soit respectable. Et ne lèse notamment aucune des parties concernées : en l’occurrence, l’Etat, les opérateurs de jeu et les joueurs. Or évidemment, ce sont ces derniers qui risquent de ne pas totalement s’y retrouver dans cette affaire.
Chers académiciens, on sait déjà tous ce qui va changer concrètement pour nous d’ici à deux mois : un pot surtaxé par l’Etat (2% à un 1 euro capé en plus du rake de la room) et l’impossibilité d’affronter des joueurs d’autre pays. Bref, c’était bien mieux avant.
On prends dans l’ordre. D’abord la surtaxe. Pour un joueur lambda occasionnel, 2% de plus, cela ne paraît pas forcément énorme au premier abord. Je me souviens d’ailleurs qu’il y a plusieurs mois, les pouvoirs publics envisageaient un prélèvement bien plus élevé. Le problème, c’est qu’un cap à 1 euro, aux petites limites, c’est très loin d’être négligeable.
Pour les joueurs assidus des plus hautes limites (disons à partir de la NL200), 2% de plus, c’est potentiellement plusieurs centaines ou milliers de dollars en moins à la fin du mois !
A ce sujet, il y a un argument rabâché à longueur de journée par les instigateurs de cette loi, qui me met à chaque fois en tilt. Pour justifier cette surtaxe, on invoque la lutte contre l’addiction avec des tremolos dans la voix. Je n’ai jamais compris ni le lien ni la logique du truc. En gros, on nous dit : on vous fait perdre plus (ou gagner moins) pour éviter que vous ne deveniez trop accro au jeu. C’est pour votre bien les amis !
Evidemment, je saisi moins la logique que l’hypocrisie d’un tel argumentaire. Car saperlipopette (il fallait absolument que je place ce mot), comment l’Etat français peut-il jouer soudainement sans rougir les pères la morale à propos de l’addiction, alors qu’il remplit grassement ses caisses depuis des décennies grâce à la Française des Jeux, le PMU ou encore les dizaines de casinos qui ont essaimé sur notre territoire ?!! Lesquels proposent tous des jeux fortement addictifs, à base de grattage, de tirage, de courses, de paris ou encore de boules qui tournent dans tous les sens (la FDJ n’a-t-elle pas été épinglée à plusieurs reprises pour proposer des jeux trop addictifs ?). Des jeux qui ont de surcroît la particularité d’être tous, sans exception, EV-. En d’autres termes, vous l’avez tous dans l’os sur le long terme.
Ce qui n’est évidemment pas le cas de notre jeu préféré. Au poker, on affronte d’autres joueurs et les meilleurs d’entre nous peuvent générer des bénéfices parfois substantiels, à condition de garder une marge suffisante pour également battre le rake. Mais si les rooms n’amortissent pas cette surtaxe de l‘Etat (la question reste en suspend), il ne faut pas avoir fait math sup pour prévoir que : les joueurs gagnants vont gagner moins ou plus du tout, les joueurs « even » vont devenir perdants, et les joueurs perdants vont perdre plus. Mais bon, comme c’est pour notre bien…
Il est de toute façon trop tard, mais n’était-il pas possible de taxer directement les opérateurs de jeu en ligne sur leurs bénéfices ? A l’image de ce qui se fait pour les casinos en France. Et histoire de maintenir une offre attractive pour les joueurs, qui seraient du coup moins tenté de profiter d‘une offre « illégale » … Passons.
L’autre gros problème de cette loi, c’est évidemment le fait d’être confiné entre mangeurs de grenouille. Sans faire de parallèle sans doute excessif avec des pays tels que la Chine ou l’Iran - lesquels se font une spécialité de bloquer un certain nombre de sites accessibles à tous -, il s’agit quand même ici de la négation même de ce que représente le Net. Une fenêtre ouverte sur le monde, la possibilité d’échanger (ou de jouer en l’occurrence) avec des hommes et des femmes de tous les pays, un espace incroyable de liberté, etc…
Plus prosaïquement, cela va avoir pour conséquence une baisse considérable du nombre d’adversaires potentiels et probablement un assèchement des limites les plus hautes. Bien entendu, si vous voulez mater les affrontements titanesques de Durrr, Antonius et Ivey… bah, il faudra vous contenter de lire les compte-rendu de certains sites.
Et je n’évoque même pas les aficionados de gros tournois, qui devront désormais se contenter d’un champ de joueurs riquiqui, et donc d’un prize money du même acabit. Ou encore les fans, comme Eloi ou Jérôme, de variantes exotiques (le Stud, l’Omaha Beach et compagnie), qui devront s’armer de patience pour trouver un client à leur limite.
J’entends et je lis souvent que l’ouverture du marché va provoquer un arrivage massif de nouveaux fishs. Et que du coup, on s’y retrouvera tous (nous les joueurs réguliers). Je ne demande pourtant que ça, mais je n’arrive pas être pleinement convaincu par cet argument.
D’abord parce que d’un point de vue purement quantitatif, on trouvera toujours bien plus de fishs en jouant contre le reste du monde, plutôt qu’entre compatriotes.
Ensuite - et là je parle pour ma pomme - parce que je ne suis pas certain que tous ces nouveaux poissons s’installeront forcément en médium/high stake. Surtout quand on sait que 90% des joueurs inscrits sur un site de poker s’assoient sur des tables de… « play money ».
Bon, n’aurais-je pas tendance à un peu noircir le tableau me dites-vous ? Peut-être. On verra bien, après tout, une fois qu’on y sera.
Mais quoiqu’il arrive, les pouvoir publics devront gérer la persistance d’une offre illégale, difficile à endiguer. Certes, des garde-fous, des blocages, des barrières seront mis en place pour empêcher l’accès aux sites non agrémentés. Une véritable ligne Maginot devrait être dressée pour l’occasion. Or, on le sait malheureusement, une ligne Maginot, ça se contourne… Et vouloir contrôler totalement Internet, c’est un peu comme demander à Tiger Woods de rester chaste plus d’une semaine, ou supplier Basou de ne plus overbetter à la river !
On l’a vu récemment avec la loi Hadopi qui n’a, semble-t-il, pas supprimé le moins du monde le téléchargement illégal.
Via l’utilisation d’un proxy, il sera vraisemblablement possible de continuer à bluffer des joueurs d‘autres continents, le tout à un prix (rake) moins prohibitif.
Reste à savoir quelle sera la proportion de ses joueurs prêts à contourner la loi. Mais en n’adaptant pas ces nouvelles règles aux réalités du marché et en maintenant cette frontière franco-française (ce qui à mon avis sera difficilement tenable à terme), l’Etat prendra le risque de voir la plupart des plus gros joueurs partir à l’étranger ou jouer sur les « autres » sites, si cela ne s’avère pas trop compliqué. Avec un manque à gagner évident pour les rooms agrémentées, un joueur de NL400 ne rapportant pas la même chose qu’un régular de NL2.
Comment réagiront également tous ces joueurs de limites plus basses, passionnés ou mêmes occasionnels, qui fréquentent les sites de poker en ligne depuis plusieurs mois ou plusieurs années ? Et qui risquent de constater que, finalement, c’était bien mieux avant. Ne seront-ils pas tentés eux aussi de franchir la ligne rouge ?
Je termine donc ce post avec le sentiment étrange que cette loi pose plus de questions et de problèmes qu’elle n’en résout…
Mizar.