Une soirée en enfer

Une soirée en enfer

« Celui qui parvient à contrôler les autres a du pouvoir, celui qui parvient à se contrôler a encore plus de pouvoir. »  C’est avec cet adage de mon vieil ami Lao-Tseu que je me préparais à affronter, la bave aux lèvres (c’est une image, vous l’aurez compris), cinq profs éminents de Poker Académie. Avec une triple difficulté. D’abord la qualité de mes différents adversaires, tous profs à PA, et donc probablement peu enclins à commettre de grosses erreurs. Par expérience, lorsque l’edge est réduit entre les joueurs, la différence se fait le plus souvent sur le court terme grâce aux cartes et, sur le long terme, via le métagame.

 

La deuxième difficulté tient au fait qu’hormis Jérôme et Nicolas, que j’ai affrontés lors d’une partie privée chez Farid, j’ignore tout de la façon de jouer de mes adversaires online. Je pressent juste que le terme « passif » sera absent de cette soirée. Et surtout que - cours en direct et prestige oblige - quelques moves plus ou moins bien senties devraient gicler sur la table.

Ultime difficulté : la limite choisie, en l’occurrence la NL 100. Online, si ma limite de « base » est la NL 1000, je joue de facto entre la NL400 et la NL2000, si je remarque la présence de certains de mes « amis » à ces tables. Je ne m’aventure jamais au dessus de la NL2000 pour la simple et bonne raison que je risquerais de jouer « scared money ». Et je ne descends  jamais sous la NL400 car je pourrais, a contrario, devenir « no scared money », avec une espérance de gain trop réduite. Avec, dans les deux cas, et pour des raisons différentes, le risque évident de ne pas jouer mon A-game.

Je vais donc ici devoir éviter de tomber dans la facilité. Ne pas jouer n’importe comment en raison des sommes en jeu. Et ne pas sombrer dans un « poker panache » censé en mettre plein la vue à la centaine d’académiciens postés autour de la table. Bref, jouer comme si je me trouvais à une table de NL100 avec un zéro en plus, et rester discipliné. 

Mon petit doigt me dit aussi que tous ne feront pas preuve de la même rigueur germanique. Et que certains, encore moins « scared money » que moi, vont gambler sévère.

Je ne vais pas être déçu. Outre Jérôme, dont j’avais pu avoir un  aperçu du jeu loose-aggro chez Farid, c’est Basou qui va très rapidement endosser le rôle du maniac de Boston et mette le feu à la table… 3-bettant, 4-bettant ou 18-bettant avec des poubelles ou des As faible, misant sur 150 % des coups.

Mon Basou va donc logiquement et rapidement devenir ma cible privilégiée. Manque de bol, le canaillou est juste derrière moi et je passe donc mon temps à sentir son souffle chaud sur ma nuque. Une situation d’autant plus désagréable que tout au long de notre cession, j’ai la désagréable impression de traverser le Sahara du poker, tant j’ai rarement touché aussi peu de cartes en 2h30.

J’ai fait le compte, je n’ai pas touché une seule fois AA, KK, QQ ou TT de la soirée. Ce qui, au vu des exactions que le fou furieux derrière moi était capable de perpétrer, m‘aurait grandement servi.

J’ai touché une seule fois JJ, au moment ou Nico avait QQ. J’y reviendrai. Et deux fois AK, j’y reviendrai aussi.

Mieux encore, je n’ai récolté quasiment aucune poket pair. Quand aux suited-connectors - qui pouvaient s’avérer très juteuses vu la profondeur rapide de nos tapis respectifs et la présence d’un tueur en série derrière moi - elle se faisaient tellement rare que je poussais un hurlement primaire à chaque fois que j ‘en voyais une… !

J’ai l’impression que, pendant ce temps, Jérôme a du toucher une demi-douzaine de fois KK, 2-3 fois AA et 2-3 fois QQ.

Mais « That’s poker » comme on dit benoîtement dans ces cas-là. Et il faut savoir d’adapter, garder son calme, et limiter les dégâts.

Mais trêve de blabla, et intéressons-nous aux quelques pots intéressants que j’ai pu joué lors de cette soirée.
 



C’est ici ma toute première main de la soirée. Je 3-bet Jérôme avec KQ et Basou me 4-bet illico avec A3. Il me montre évidemment sa main mais pas le sourire goguenard qui doit, je suppose, illuminer son visage à ce moment-là.




Damned, Landru a touché sa quinte à la river ! Ici, le raise est important mais ma mise peut être interprété comme un blok bet. Et vu la façon de jouer de Basou depuis le début, je ne peux pas me permettre de folder. A noter que face à d’autres joueurs ici, je n’hésiterai pas à folder. C’est l’avantage du style maniac : vous vous faites très souvent payer quand vous touchez un gros jeu. Bien joué Basou ! 



 
Dix minutes plus tard, après avoir traversé Ermenonville avec Q2o, 94o et leurs amis, je me retrouve en combat de blinds avec Jack L’Eventreur. Qu’est-ce qui me prend de vouloir provoquer un sadique pareil ?
 


 

Ici,  j’estime alors ma fold equity à 20 -25 % et mon equity a 33-50%. Le shove est légèrement EV+, je balance la sauce.
A noter que je fais un mini 5-bet qui n’a rien de tricky du tout. Dans les faits, je découvre le soft Party Poker et cherche désespérément le bouton « all in ». Pris par le temps, j’appuie sur « raise », pensant que cela va relancer du double de la mise adverse, comme c’est le cas sur d’autre réseaux. Bon,  de toute façon, mon adversaire a trouvé le bouton « all in » à ma place…
J’avais finalement à peine une chance sur trois de remporter le pot. Ce sera mon seul gros coup un peu chanceux de la soirée.  Désolé Como, c’est tombé sur toi !




Pas de chance pour Nico ici, qui a un set up defavorable. Je ne 4-bet pas river car je me ferai alors beaucoup plus souvent payer par mieux que par moins bien face à un bon joueur comme Nicolas. D’autant que mon image à table n‘est alors pas la même que celle de Basou.
 


Je préfère folder. Là encore, c’est vilain dépendant, car contre Basou je vais être plus enclin à caller (en serrant quand même les dents) dans ce même type de situation.

Nico montre une première fois de la force en Cbettant à 4 joueurs. Puis une deuxième fois avec son C/R turn. Son range de bluff ou semi-bluff (avec un 5) ne dépasse pas les 20 % à vue de pif et il n’y véritablement que TT qu’il est susceptible de jouer de cette manière et que je bats. En face, le brelan de 7, le full ou une grosse paire font partie de sa range.

Je ne sais pas si Nico  a bien fait de C/R all in sur ce coup car - à moins que son image soit entamée - il se fera la plupart du temps payé par mieux et rarement par moins bien. La preuve : je jette JJ.

Son coup est adéquat si je suis sur un tirage trèfle. Mais il y avait  peut-être plus de value à C/C le turn puis à C/C ou thin value bet à la river en fonction de la dernière carte.
 



Après un nouveau désert de cartes et avec Genghis Khan à ma gauche, je n’ai pas joué une main depuis presque dix minutes. Je call juste preflop avec l’espoir que Basou 3-bet dans cette situation, comme il le fait fréquemment.
Manque de pot, il s’abstient cette fois ci, mais le flop n’est pas inintéressant…
Aie ! Basou est donc vraiment en mode déglingo et n’a décidément peur de rien !

En overbettant très légèrement la turn ici, je veux faire croire à mon adversaire que j’ai au minimum une TPTK et que je crains un éventuel tirage couleur.

Connaissant le style de jeu de Basou depuis le début, je suis face à un choix délicat. Soit je mise plus faible pour espérer voir la river pour pas trop cher mais je montre ainsi sur quelle type de main je suis. Et un joueur aggro comme Basou, avec une bonne lecture de jeu et en plus avec la position, va exploiter la situation en me relançant. Soit je check et m’expose à une mise probable de sa part.

Dans les deux cas, je n’ai aucune value à payer hors position mon tirage couleur, même avec AKs, car je n’aurais jamais la cote implicite. En effet, si un troisième pique sort à la river et que je donk bet, Basou va vraisemblablement folder avec sa main. Et si je check (toujours dans l’hypothèse d’un troisième pique à la river), Basou checkera probablement aussi.

J’ai donc ici le choix, à la turn, entre un check qui signifie l’abandon probable du coup. Ou une mise très agressive qui laisse penser à mon adversaire que j’ai une belle main et que je crains un tirage couleur.

A noter que si mon adversaire avait été moins aggressif et avec un niveau de lecture moindre que celui de Basou, j’aurais sans doute opté pour la trosième solution (une mise modérée à la turn).

Hélàs, j’ai complètement faux ici car Basou n’hésite pas à s’envoyer en l’air avec Q3 sur ce board, m’obligeant évidemment à folder. Mon serial-killer n’hésite décidément pas à jouer son tapis avec des mains marginales.

Ce qui est marrant, c’est que sur le chat de la live zone, Basou était persuadé de m’avoir fait foldé une TPTK. Preuve que je lui avais bien envoyé le message que je souhaitais à la turn… mais que je ne m’attendais pas à une telle réponse !

OK, j’ai compris comment désormais je vais jouer mon bourreau. Encore faut-il que les cartes me le permettent…
 




Mon image à table est très serrée. Il faut la modifier un peu… 
 
 
 
La guerre est déclarée



Je sais (ou plutôt j’espère J ) que Basou hésitera à me repasser dessus ici. Il connait son image désastreuse auprès de moi. Je tiens aussi à ce qu’il en ait une moins bonne de moi.

Il faut juste que je touche enfin du lourd car ça risque d’exploser prochainement !
 




Yep, ça y’est, mon Basou il est chaud bouillant là ! C’est vraiment le moment de merger sa range. Une main, même un 99, vite !
 
 



Cet homme est fou !
 



Arghhh…
 




Evidemment, dans l’état de gambling avancé où se trouve Basou à cet instant (et pas seulement face à moi)… AJ =AK
 

Une main fatale



Avec Basou, Jérôme a été jusqu’à présent le grand  animateur de la table. Bien servi par une ribambelle de main premiums ( à tel point que des soupçons ont pesé à un moment donné sur la nature exacte de son user account…) et jouant parfaitement post flop, son style loose aggro a fait explosé la table.

Il a déjà à plusieurs reprises overbetter des pots. A chaque fois avec de belles mains, mais pas forcément les nuts.

Quelques coups auparavant, il avait d’ailleurs fait un très gros overbet river (178$ dans un pot de 70$) avec un brelan de 4 hauteur 8 ! Un choix d’ailleurs discutable, comme il l’admettra juste après dans le chat.

Ici, je pense être devant à la river à peine moins d’une fois sur deux. Les probabilités de bluff de Jérôme sont faibles : j’ai une bonne image, j’ai misé à la turn, il n’a jamais overbet bluff river. Mais surtout, il a montré jusqu’à présent qu’il n’hésitait pas à value better assez light. Enfin, la couleur étant backdoor, la probabilité qu’il me voit sur une couleur, et vice-versa, est plus faible vue que lui et moi avons misé au flop (alors qu’il n’y avait pas de tirage couleur encore possible).

Bref ici, j’estime que Jérôme peut jouer de cette manière aussi bien un full, une couleur (je suis derrière ayant la couleur mini), qu’un brelan ou une quinte avec A5 (auquel cas je suis devant).

Je paie donc sans enthousiasme… avant de fracasser mon écran plan 26 pouces en imitant Zidane (bon là je romance un peu).  Le carreau à la river était la pire carte possible pour moi.
 



Arrête Basou, je ne te crois plus !
 




Je sais que je suis devant la range de Basou. Je préfère évidemment me retrouver devant un Ax en face (qui me donnerait 70 % d’équity) que face à une Pocket pair. Malheureusement, c’est le cas et je me retrouve contraint de jouer un vulgaire coin flip face à l’étrangleur de Boston… avec une victoire US à la clé. Il n’y a pas de justice.
 




88+ et AJ+ font désormais partie de la range de main avec laquelle je suit prêt à aller à tapis contre Basou 
 

Une dernière pour la route




Un call plus tendu car mon adversaire peut très bien jouer de cette manière avec un A. 
 

Voilà comment se termine pour moi une soirée délicate, où j’aurai passé mon temps à sentir le souffle chaud de Basou. Un grand merci à celui-ci pour avoir mis le feu à une table (la NL100) sur laquelle il n’avait visiblement plus joué depuis avril 1993. Raison sans doute pour laquelle son instinct gambleur a rapidement pris le dessus…

Un grand merci à Nicolas pour avoir assuré avec brio le rôle de maître de cérémonie (tout en jouant, ce qui n’est pas évident). Et avoir tenté de justifier, doctement, certains moves de Basou.

Un grand bravo à Jérôme, qui a rasé la table et ma pomme par la même occasion, tout en excitant un peu plus encore Basou.

Et un salut respectueux à Como et à Philippe qui, comme moi, ont essayé de passer entre les balles !


Mizar
 PA  1 4404