La psychologie des joueurs perdants

La psychologie des joueurs perdants

Quand on leur demande directement, la plupart des joueurs de poker répondent être gagnants. En réalité, 80% d’entre eux sont perdants. Pourquoi jouent-ils à un jeu auquel ils perdent ?

L’écrasante majorité des joueurs commencent par être perdants. En effet, rares sont ceux qui étudient suffisamment avant de se mettre à jouer. Les débutants sont donc des joueurs perdants, avec quatre possibilités d’évolution : arrêter le poker, progresser et devenir gagnant, devenir un joueur récréatif ou devenir un joueur addict. Nous allons nous intéresser à ces deux dernières catégories.

La psychologie du joueur récréatif

On entend souvent que les récréatifs considèrent le poker comme n’importe quelle autre activité ludique. Quand on va au cinéma ou que l’on se fait une soirée bowling, on accepte de dépenser de l’argent pour passer un bon moment. Les joueurs récréatifs appliqueraient cette approche au poker. Il y a pourtant une différence fondamentale.

Le récréatif lambda dépose un jour 100€, sa bankroll diminue petit à petit, et une fois descendu à 30€, il décide d’arrêter le poker. Pourquoi ?

D’un point de vue psychologique, perte et coût ne sont pas identiques. Quand on joue au poker, on a toujours l’espoir de gagner de l’argent et en perdre blesse au moins l’ego, si ce n’est le portefeuille. Quand bien même le joueur récréatif pourrait se permettre ses pertes d’un point de vue strictement financier, constater qu’il perd sa bankroll l’oblige à se dire qu’il est mauvais et lui donne envie d’arrêter. La bankroll agit comme un classement, qui, ne faisant que baisser, dévalorise le joueur. Dans ces conditions, le joueur récréatif perdant ne peut être qu’un joueur qui n’a pas encore arrêté le poker.

Dans l’idéal, une meilleure stratégie pour les rooms serait de proposer un système sans bankroll : à la manière d’un joueur live, le joueur dépose de l’argent en début de session et ce qui lui reste lui est transféré en fin de session. Au lieu de déposer une fois 100€ puis d’arrêter le poker, notre joueur récréatif moyen mettrait régulièrement 20€ en début de soirée, repartirait des fois avec rien, des fois en ayant doublé. Il serait évidemment toujours perdant à terme, mais n’aurait pas le solde de sa bankroll visible à chaque instant, lui rappelant qu’il est mauvais. Au final, il jouerait plus longtemps et plus d’argent.

En pratique, il y a au moins deux gros problèmes à ce système. Les frais bancaires, que la room devrait probablement prendre en charge pour ne pas faire fuir les joueurs et le fait que peu de gens voudraient que leur banquier voie des kilomètres de lignes de crédit et débit pour des sites de poker...

L’autre idée est d’établir un autre “classement”. Ca se fait depuis toujours avec les statuts en fonction du rake et de plus en plus avec la “socialisation” de certaines rooms, qui proposent des missions à accomplir. Une des rooms précurseurs était Winamax, avec son Guns and Glory. Je crois qu’un simple système de points, du type classement Elo aux échecs, serait tout aussi efficace. Mais, si un tel classement est utilisé en complément de la bankroll, ses bénéfices en sont limités. On n'imagine pas vraiment un joueur se dire “j’ai perdu 80% de mon dépôt, mais je suis bon car j’ai gagné plein de points d’expérience”...

En mixant ces deux idées, supprimer la bankroll et instaurer un classement de substitution, le joueur récréatif pourrait avoir l’impression d’être bon, tout en continuant à perdre régulièrement de l’argent… Malgré les problèmes liés aux transferts réguliers d’argent, je crois que ces propositions sont à creuser. Car pour l’instant, les moyens utilisés par les rooms pour préserver les joueurs récréatifs ne changent rien au problème de fond. On peut anonymiser les tables, accélérer les structures ou tirer au sort les prix, si on répète constamment à un joueur qu’il est un loser, il finira par arrêter.

On notera que beaucoup de joueurs perdants qui ont arrêté le poker en ligne, continuent d’y jouer en live. D’aucuns considèrent que c’est plus sympa, mais il y a une autre explication : en live il n’y a pas de bankroll, plus facile de se mentir quant à son niveau.

La psychologie du joueur dépendant

Un joueur dépendant, compulsif ou pathologique est quelqu’un qui ne peut s’empêcher de joueur, malgré les conséquences négatives. La plus commune de ces conséquences négatives est la perte d’argent, mais même un joueur gagnant peut être addict, s’il trouve qu’il joue trop, au détriment de sa vie sociale ou de sa santé par exemple.

Deux phénomènes qui ne sont pas incompatibles, peuvent expliquer la dépendance au jeu : la surestimation du présent et la vision biaisée du futur.

La surestimation du présent est une tendance profondément humaine, que l’on retrouve au quotidien et pas seulement chez les joueurs compulsifs. C’est le combat entre le “moi présent” et le “moi futur”, la propension à faire des choses alors qu’on sait qu’on les regrettera ensuite, car “maintenant” nous semble plus important que “plus tard”. On n’a pas envie d’avoir la gueule de bois, mais on recommande une autre bouteille. On devrait arrêter de fumer, mais pas aujourd’hui. On devrait faire un régime, mais on reprend du dessert. On devrait bosser, mais en attendant on glande…

Certains joueurs addicts savent qu’ils ne devraient pas jouer, qu’ils vont le regretter par la suite, mais le plaisir immédiat parait plus important.

Les autres joueurs dépendants sont ceux qui ne prédisent pas correctement le futur. Typiquement, ils pensent qu’ils vont gagner de l’argent alors que rationnellement ils devraient se rendre compte qu’ils risquent surtout d’en perdre.

Les jeux de hasard pur sont propices à toutes sortes de croyances, du style “ça vient de tomber 4 fois de suite sur noir, je parie sur rouge” à cause desquelles le joueur prend un pari perdant en l’imaginant gagnant. Comme les taux de retour étant assez élevés, les joueurs gagnent suffisamment pour entretenir ces superstitions.

Au poker, le principal problème est la surestimation de soi. S’il est tout à fait normal de se mentir un tantinet à soi même en se trouvant légèrement meilleur que l’on est réellement, certains poussent le vice jusqu’à perdre très gros, tout en s’imaginant bien jouer. Un exemple type est le joueur qui gagne gros, par chance, à ses débuts. Il s’imagine alors être un génie, mais la chance tourne ensuite et il commence à perdre. Le risque est qu’il attribue ses pertes à la malchance et pense que ses premiers gains qui sont révélateurs de son niveau. Il peut alors vouloir se refaire, comportement que l’on appelle le chasing, et devenir dépendant.

Le point évoqué plus haut, de la bankroll comme révélateur de niveau, diminue la surestimation de son niveau. Ce qui est une des raisons pour laquelle le poker en ligne est moins addictif que le poker live.

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