Taxation des joueurs - 3 joueurs pros interviewés

Je viens de tomber sur un article intéressant / taxation des joueurs.

Taxation des joueurs pros : 3 pros parlent !
Publié par Jonathan Brunolier
"Trois joueurs professionnels ont accepté de s’exprimer sur la tentative, pour le moment repoussée, de la députée Aurélie Filippetti de taxer les revenus des joueurs de poker professionnels. Pierre Canali, Lucille Cailly et le shark online Flavien Guénan sont les trois premiers à répondre à Formule Poker. Retrouvez également l’édito de Jonathan Brunolier ici.
Formule Poker : Avant toute chose, il convient de définir ce qu’est le poker ; un jeu, un sport, une discipline mentale ? On pose souvent la question mais personne ne répond vraiment. Pourtant, à l’heure de l’exposition médiatique du poker conséquente à sa légalisation, la réponse à cette question, dès lors qu’elle aura été établie, pourrait avoir des conséquences fiscales et donc politiques. Ton avis de joueur pro ?
Pierre « Pedro » Canali : Le poker se situe quelque part entre un sport et une science dont on découvre de nouvelle théories mathématique, psychologique et économique tous les jours. Le poker de haut niveau est même parfois un art comme peut l’être une partie d’échec entre 2 grands maîtres internationaux. Le poker est pratiqué par énormément d’amateurs pour le plaisir, car n’oublions pas malgré tout que cela reste un jeu avant tout.
Lucille Cailly : Le poker est un sport au même titre que les échecs. Il requiert des compétences, de la concentration, de l’endurance, etc. Cependant, une des grandes différences entre le sport et le poker est la variance. Sauf blessure ou craquage mental, dans la plupart des disciplines sportives, c’est toujours le meilleur qui l’emporte. Ce n’est pas le cas au poker. Etre compétent, et même le meilleur, ne suffit pas pour gagner. Autre différence, le poker implique un énorme investissement financier : il faut payer pour avoir une chance de gagner, ce qui n’est pas le cas dans les autres sports…
Flavien Guénan : Selon moi le poker reste un jeu, tous les joueurs sponsorisés ou non, professionnels, ont d’abord connu le poker comme « jeu ludique » avant de l’envisager comme profession. Néanmoins, cela reste une notion vague à laquelle on ne peut répondre, ceci dépendant du point de vue de chaque joueur sur le poker.
La députée socialiste Aurélie Filippetti a fait parler d’elle récemment, dans le cadre d’un amendement qu’elle a voulu faire approuver afin de taxer les revenus des joueurs de poker professionnels, pourtant acteurs d’une discipline que la loi considère comme étant un jeu de hasard –or le Fisc n’impose pas les gains de chance. Qu’est-ce que cette décision t’inspire dans un premier temps ?
Lucille Cailly : L’Etat veut prendre l’argent où il se trouve, quitte à revenir sur des choses établies. Rien d’étonnant ici… Elle dit que pour certains c’est un jeu de compétences et beaucoup moins de hasard que pour d’autres. Soit. Mais comment compte t-elle estimer le niveau compétence et la proportion de «chance » qu’expérimentent les joueurs ? Un joueur très mauvais qui subit le hasard à plein pot mais qui gagne une somme énorme sur un tournoi sera t’il exempt de taxation ?
Pierre « Pedro » Canali : Ce n’est pas une si mauvaise chose de taxer sur les revenus si cela est bien fait dans l’absolu. Mais j’ai bien peur que cela soit irréalisable. Il faudrait compter les gains et les pertes en cash game, les staking, les swaps etc., … J’ai bien dit dans l’absolu car dans les faits, cela n’a aucun sens car il n’y a que 5% de gagnants réguliers en live et 10% online. Parmi eux, la majorité gagne mois du smic et serait donc non-imposable sur le revenu. Cette loi ne concernerait donc qu’une poignée de joueurs en France ; peut être 100 ou 200 même si quand on écoute les joueurs de poker, ils disent tous beaucoup gagner !
Flavien Guénan : En entendant parler de cette affaire, j’ai eu extrêmement peur car cela impliquerait la fin du jeu pour tout joueur professionnel français… à moins qu’il ne soit prêt à vivre à l’étranger ! Je suis pour le moment rassuré que ce soit mis de coté et réévalué, cela nous laisse un peu de temps, à nous, joueurs pros de poker, pour nous préparer à l’inévitable…
D’abord l’ARJEL, qui a présenté certes quelques avantages –ne serait-ce que l’assurance d’être enfin dans la légalité pour le joueur-, mais qui a néanmoins provoqué de douloureux changements pour les réguliers et joueurs gagnants, aux variantistes, et aux high stakers français, ainsi qu’à tout joueur soucieux du rake gourmand, et maintenant l’action de Filippetti, le ciel s’assombrit-il pour les joueurs de poker pros, ou amenés à le devenir ?

Flavien Guénan : Déjà au début de l’ère ARJEL, beaucoup de joueurs se sont plaint du rake, se plaignant de ne pouvoir dégager de profits. Maintenant, étant donné le niveau extrêmement faible des joueurs de poker en France, nous avons malgrè tout pu continuer à gagner de l’argent. Mais ceci ne pourra durer ! Le poker surfe sur la vague de son succès actuel mais il n’est sur pour personne que les sites de poker francais garderont encore le même trafic ( je dirai même que le trafi sur les sites .fr est déja en diminution, sur les tables de cash game.).
Pierre « Pedro » Canali : Pour l’instant malgré tout, le poker est en pleine expansion et c’est bien tout ce qui compte! Le poker a changé mais il se porte bien. Plus de tournoi haute variance avec 6 chiffres à la gagne mais des tournois plus faciles. Il en va de même pour le cash game, plus de rake mais plus d’edge. Chez tous les bons joueurs que je connais, les Winrates et les R.O.I. sont globalement les mêmes qu’avant ARJEL.
Lucille Cailly : Les joueurs sont effectivement inquiets. Entre le rake exorbitant et cette taxe, il va devenir très difficile de gagner. En même temps, si le but est de se débarrasser d’une énorme partie des joueurs français (qui finiront soit par arrêter de jouer soit par déménager à l’étranger), c’est bien joué.
Quels sont, selon toi, les avantages et les inconvénients à taxer les revenus des joueurs de poker professionnels ?
Pierre « Pedro » Canali : Avoir un vrai statut reconnu par l’Etat est une bonne chose mais il faudrait mettre en place beaucoup de structures trop lourdes pour que cela soit bien fait, par exemple pour tracer les gains et les pertes de chacun en live et online, déclarer les swaps et les stakings, etc… Tout ça pour 200 personnes en France !
Lucille Cailly : Je vois difficilement comment il serait possible de taxer les joueurs. Il n’est pas réaliste de vouloir les taxer sur leurs gains. En effet, un joueur pourrait avoir à payer un impôt alors qu’il perd de l’argent ! Taxer sur les bénéfices a un peu plus de sens. Mais c’est ne pas prendre en compte qu’un joueur a besoin de ses mêmes bénéfices pour continuer à être un joueur. Ce serait tout de même fou de devoir descendre de limite après taxation pour garder une bonne gestion de bankroll… Mais j’imagine qu’être taxé signifie gagner un statut, avoir un métier reconnu, une retraite et pourquoi pas les droits au chômage (hum…) !
Flavien Guénan : Les avantages apportés par la taxation sur le revenu pour les joueurs de poker ? Je n’en vois pas vraiment… ce n’est pas pour rien que nous sommes contents du vide juridique actuel autour de ce problème. Les inconvénients sont la disparition pure et simple de joueur professionnel sur le territoire français.
L’amendement de la députée Aurélie Filippetti a été rejeté, mais il est certain que la question va revenir régulièrement sur le devant de la scène. Quels sont les arguments que peuvent avancer les joueurs pros pour tenter d’influer sur le débat ? Après tout, ils sont les premiers concernés et toute décision politique devrait se faire avec eux.
Pierre « Pedro Canali : Comment taxer une activité qui implique inexorablement des mois perdants ? Des années perdantes des fois ! On ne peut pas être taxé sur les périodes où l’on « run au dessus de l’EV » ( les périodes de chance) car cette chance va s’équilibrer sur le long terme et l’on aura été taxé sur un argent que l’on a plus. C’est un peu compliqué à comprendre mais n’importe quel député avec des notions de maths pourra comprendre la démonstration mathématique de cela.
Lucille Cailly : Il faut expliquer le concept de variance et de bankroll aux politiques. Cet amendement n’est tout simplement pas réaliste. Et puis, n’est-on pas déjà taxé à la base ? Sur le rake prélevé sur chaque tournoi et chaque pot en cash game, une partie va déjà à l’Etat. Il y aurait donc une taxe pour jouer et une taxe pour gagner ?
Flavien Guénan : Comme je le disais précédemment, il deviendra impossible pour tout joueur de poker en France de battre le rake et la taxation sur le revenu. On peut calculer de manière assez simple avec les résultats des meilleurs joueurs français … aucun ne pourrait dégager de bénéfice. Du coup, créer une loi prévoyant la taxation sur le revenu pour les joueurs de poker n’aurait tout simplement aucun sens car à long terme il n’y aura plus personne à taxer… Je dirais que cette loi ferait plus perdre d’argent à l’Etat qu’elle ne lui en apporterait, étant donné que si les joueurs de poker français se décident à ne plus habiter en France -et à retourner jouer sur les sites en .com- cela engendrerait une énorme chute de fréquentation et surtout du rake sur les sites en .fr …
Le poker comme espace de liberté où, plus que partout ailleurs, la perspective de gagner de l’argent sans les contraintes horaires, les transports publics, les tensions entre collègues, etc., connait quelques revers depuis quelques temps. Avons-nous dépassé son âge d’or pour entrer dans une période de légère récession, où justement ces notions de liberté sont entachées par l’ombre de la loi, des impôts, des obligations juridiques toujours plus nombreuses et contraignantes ? Est-ce le début de la fin du rêve pokeristique ?
Pierre « Pedro » Canali : N’exagérons rien, pour le moment, tout va bien. Mais il est vrai que si une loi est créée par des gens ne connaissant rien des tenants et des aboutissants de la vie de joueur pro, alors oui, dans ce cas ça pourrait tout simplement être la fin de ce métier.
Lucille Cailly : Quand je vois que même les joueurs amateurs s’inquiètent, je commence à croire que l’on va vers de sérieux soucis, en effet. Et puis le rêve de jackpot est un peu terni si on sait qu’un tiers du rêve s’enfuira vers les caisses de l’Etat…
Flavien Guénan : Ce qui est assez gênant vis-a-vis de ARJEL et de la taxation, c’est que pour entrer dans les critères, il fallait considérer le poker comme un jeu de hasard… ou plutôt, nous, joueurs de poker, nous sommes battu pour que le poker ne soit pas considéré comme un jeu de hasard, mais on ne nous a pas écouté. Je ne vois pas pourquoi maintenant, parce que cela les arrange, le poker pourrait ne plus être considéré comme un jeu de hasard. Le poker vis son âge d’or, et les éléments extérieurs au jeu vont le tuer…
Quel message voudrais-tu faire passer aux responsables politiques ?
Pierre « Pedro » Canali : J’aimerais leur faire comprendre que cela ne concerne qu’une poignée de joueurs en France. Mais dans le cas où ils tiennent vraiment à taxer sur le revenu les joueurs, je leur demande de bien se renseigner avant sur le fonctionnement de la variance, du long terme, du winrate, du ROI et de l’EV ! Ils doivent s’entourer de joueurs pros pour faire cette loi car la moindre erreur dans le texte pourrait rendre ce métier obsolète.
Lucille Cailly : Ce serait pas mal qu’ils se renseignent sur ce qu’est vraiment la vie (et donc la gestion financière) d’un joueur avant de prendre une décision de cette ampleur.
Flavien Guénan : Nous avons fait assez de sacrifices avec l’ère ARJEL et il est maintenant temps de faire en sorte que le poker en France ne meurs pas trop vite. Déjà l’ARJEL, maintenant la taxation sur le revenu pour les joueurs pro… à force de vouloir réguler le jeu et gagner de l’argent via le jeu, vous aller finir par le tuer ! La poule aux œufs d’or a aussi ses faiblesse et à vouloir trop l’exploiter, on l’a tue!"

Source : http://www.formulepoker.info/1196taxation-des-joueurs-pros-des-pros-parlent/