Je me permets de joindre à toutes tes références, l’excellent article posté aujourd’hui par le non moins excellent journaliste poker Benjo qui était au fait de ces rumeurs depuis un certain temps et qui a mené, en quelque sorte, sa petite enquête afin de se faire une idée de « l’affaire Tekintamgac ».
Voici l’article:
Affaire Tekintamgac : faits, rumeurs et opinions
Voyons voir ce que nous autres, reporters Winamax, pouvons apporter comme éléments d’informations à cette rocambolesque affaire. Il s’agit bien entendu d’un sujet délicat, à traiter avec précaution, en prenant soin par exemple de distinguer le fait avéré de la rumeur, et la diffamation de la supposition. En somme, faire œuvre de journalisme. Ah, tout de suite les grands mots ! Rassurez-vous, cela reste de poker qu’il s’agit, donc rien de tout à fait sérieux. Mais tout de même, il y a des principes avec lesquels on ne peut déroger : au poker comme ailleurs, la triche m’a toujours fait horreur. Pire encore lorsqu’elle implique, comme c’est le cas ici, MA profession ! J’ai donc envie de m’étendre un peu sur le sujet, et d’apporter mon éclairage sur l’affaire.
Mettons les choses au clair tout de suite : il est en fait fortement probable que les suspicions du groupe Partouche envers Ali Tekintamgac soient avérées. Cela fait maintenant trois mois que j’ai entendu pour la première fois le terme de triche associé avec le nom de l’allemand. Vous allez me demander : mais pourquoi la nouvelle n’éclate au grand jour que maintenant ? On va y venir.
Ce que je sais
… ou ce que je crois savoir, je vais essayer de faire la distinction entre les deux.
1/ Lors de l’étape EPT de Tallinn, qui s’est tenue en aout dernier, deux journalistes de nationalité allemande se sont vus retirer leurs accréditations au milieu du Day 2, avant d’être exclus de l’établissement qui accueillait le tournoi. Voilà un fait avéré. Je ne connaissais pas ces deux journalistes, et la plupart de mes confrères non plus. La raison de leur exclusion, telle qu’elle était murmurée en salle de presse : ces deux personnes aidaient un ou plusieurs joueurs participant au tournoi, en regardant les cartes de leurs adversaires pour les signaler ensuite à leurs « poulains ». Un nom revenait dans les conversations : Ali Tekintamgac, joueur allemand d’origine turque, ayant eu plusieurs résultats au cours de l’année, le plus notable étant une victoire au WPT de Barcelone en mai 2010. J’ai moi-même disputé l’EPT de Tallinn, et tandis que je jouais le Day 1, je n’ai pas manqué de remarquer la présence insistante de ces deux journalistes (parfois en même temps) derrière une unique table située non loin de la mienne. A ce moment, je n’y ai pas prêté plus d’attention que cela. Chaque tournoi de poker voit son lot de nouveaux journalistes arriver, et chacun travaille comme il l’entend.
2/ Après l’exclusion des deux journalistes, Tekintamgac a continué le tournoi pour finalement sortir en 36ème place, « in the money », pour un gain de 7,200 euros. Là, je me dois de supposer que c’est un manque de preuves concrètes qui a empêché les organisateurs de l’exclure du tournoi. Homme réputé droit, Thomas Kremser ne pouvait se permettre de prendre une décision de manière légère, et aurait donc vraisemblablement décidé de laisser courir Tekintamgac faute de disposer d’éléments irréfutables pour justifier son éviction du tournoi.
En salle de presse, les pouvoirs en place nous laissent entendre à demi-mot qu’il serait mieux de ne pas ébruiter l’affaire. Certains de mes confrères ne sont pas d’accord avec la suggestion, estimant qu’il serait au contraire bénéfique à tout le monde de propager la nouvelle le plus rapidement possible – au moins parmi les organisateurs de tournoi européens - pour dissuader cette supposée bande organisée de recommencer ailleurs. Quelques journalistes prennent sur eux, en mentionnant l’histoire dans leurs reportages, sous la forme de subtiles allusions.
3/ Deux semaines plus tard, lors de la dernière journée du Partouche Poker Tour, un confrère (non présent au tournoi) m’avertit de la présence parmi les 18 joueurs restants d’un certain…Ali Tekintamgac. J’ai la mémoire courte : sa présence m’avait complètement échappé jusque là – mais il n’est pas après tout un joueur « star », et je n’ai pas couvert l’épreuve WPT qu’il a remportée quatre mois plus tôt. Je surveille de loin ses agissements, mais ne remarque rien de suspect. Les deux journalistes exclus à Tallinn ne sont pas présents à Cannes. Sans mettre de côté l’hypothèse d’autres complices (là encore, on trouve dans la salle de presse Cannoise des journalistes « neufs » que je ne connais pas), je me dis, « peut-être qu’il joue à la régulière, cette fois-ci ». Mais je me rapproche tout de même de deux superviseurs du PPT, leur racontant l’épisode de Tallinn en guise d’avertissement. A la fin de la journée, Tekintamgac est qualifié pour la finale, avec un tapis confortable.
4/ Avance rapide jusque là mi-octobre, et les championnats de Belgique organisés à Namur. Je tombe sur un article Internet de mes confrères de Belgium Poker, où est relatée l’exclusion par les organisateurs de trois journalistes au beau milieu de l’épreuve. Là encore, le nom de Tekintamgac apparaît dans l’article. Si j’ai bien compris ce que l’on m’a relaté, il se pourrait même bien qu’il posait en journaliste pour aider ses amis quand il ne jouait pas lui-même (le tournoi avait quatre journées de départ : Day 1A, Day 1B, etc) Selon mes informations, c’est Thomas Kremser qui aurait pris l’initiative d’alerter le casino de leur présence, par précaution. En apprenant cette nouvelle, je me dis que la coupe est pleine : cela mérite une vraie enquête. MadeInPoker et quelques autres sites reprennent l’info, et je prends contact avec Belgium Poker, histoire d’en savoir plus. Faute de temps à y consacrer, mon investigation amateur n’ira pas plus loin, l’affaire sortant avant que j’ai eu le temps d’y réfléchir sérieusement.
Voilà ce que je savais de l’affaire jusqu’à ce qu’elle n’éclate au grand jour ce soir. Jusque là, on ne traitait qu’avec des suspicions, des suppositions, certes provenant de sources que j’estime crédibles, mais n’apportant rien de « béton armé ».
En excluant Tekintamgac du tournoi, en annonçant disposer de preuves formelles, et en se saisissant de la justice, Partouche a fait prendre à l’affaire une toute nouvelle tournure, bien plus officielle.
Les vannes sont ouvertes
Résultat de ce grand coup frappé par Partouche : les langues se sont aussitôt déliées. J’ai passé l’ensemble de la soirée et une bonne partie de la nuit à parler au téléphone, échanger des emails avec des confrères et joueurs, et parcourir les forums. En l’espace de dix heures, j’ai appris quantité de choses.
Afin d’éviter autant que possible de propager inutilement des rumeurs non fondées, je passe à la trappe tout ce que j’ai pu lire sur les forums, et vais m’en tenir strictement aux éléments que j’ai pu obtenir par le biais de conversations avec des confrères et joueurs en qui j’ai confiance, et dont je respecte la parole, les cotoyant depuis plusieurs cette années. Bien entendu, toutes ces informations doivent tout de même être traitées avec précaution.
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D’après un confrère hollandais, l’opération de triche montée par Tekintamgac remonterait au moins au dernier EPT de San Remo (avril 2010). C’est Tekintamgac qui aurait cette fois joué le rôle de complice (« faux journaliste ») pour aider un joueur dans le Main Event. A plusieurs reprises, mon confrère a pris Tekintamgac la main dans le sac en train d’envoyer des signaux à son ami, un joueur turc (son nom m’a été donné). Mon confrère a tenté de prévenir l’organisation du tournoi, mais rien n’a véritablement été fait pour les empêcher de continuer d’agir, apparemment par manque de preuves.
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La triche aurait continué lors du « Cyprus Poker Classic » organisé à Chypre à la fin du mois d’août. Je dispose d’un autre nom d’un joueur qui aurait bénéficié de la combine, réussissant à terminer très haut dans le classement d’une des épreuves organisées durant ce festival.
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D’après un confrère allemand, Tekintamgac aurait déjà été banni de plusieurs casinos ces deux dernières années : au moins deux en Allemagne, et un autre dans un pays de l’est. La raison : suspicions de triche.
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D’après un confrère allemand, des journalistes allemands au courant de l’affaire auraient été menacés par Tekintamgac afin qu’ils gardent le silence sur l’histoire. Aucun moyen pour moi de prouver ici cette très grave affirmation. Mais je fais confiance à la personne qui m’a confié cette info, et je dois par ailleurs mentionner que j’ai moi-même été mis en garde dès le mois d’aout par plusieurs confrères. Je me souviens qu’on m’avait dit quelque chose comme : « Il faut faire gaffe avec ce que tu racontes sur ce type là, il peut-être dangereux ». Là, on rentre en terrain glissant. Loin de moi l’envie d’insinuer que Tekintamgac serait une brute sanguinaire appartenant au crime organisé, ou un truc dans le genre. Cependant, j’ai régulièrement entendu des gens autour de moi dire qu’il fallait se méfier de lui, et c’est la raison principale pour laquelle je ne me suis jamais exprimé publiquement sur le sujet.
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Dès la fin de l’EPT de Tallinn, le très respecté joueur pro Shaun Deeb avait mis en garde la communauté sur 2+2 le plus gros forum de poker mondial, en avertissant qu’un groupe de journalistes aidait un groupe de joueurs lors d’épreuves live. Prudent, Deeb ne mentionnait pas l’identité du ou des joueurs concernés, mais est intervenu hier sur le forum pour confirmer qu’il avait bien Tekintamgac en tête lorsqu’il avait rédigé son message.
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Concernant les journalistes qui seraient impliqués dans l’opération, plusieurs éléments ne font pas pencher la balance en leur faveur : aucune notoriété dans le milieu des médias poker, et une accréditation pour http://www.pokerboom.eu/, petit site inconnu qu’ils ont monté eux mêmes (et qui, comme par hasard, est en panne depuis vendredi). Je n’ai pas eu l’opportunité de consulter le fruit de leur travail journalistique à l’époque de l’EPT Tallinn, mais je dois supposer qu’il était probablement inexistant.
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Sur Youtube, une vidéo du WPT Barcelone a refait surface hier. Il s’agit de la dernière main jouée lors du tournoi, celle qui a donné la victoire à Tekintamgac. Observez bien le comportement de la personne portant un appareil photo, située debout derrière le joueur terminant en seconde place, à la 28ème seconde de la vidéo. Un peu étrange, non ?
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Maintenant, consultez cet article de l’excellent site allemand Hochgepokert, et observez bien la photo publiée en milieu de page. Vous reconnaissez ce personnage debout derrière la table (et son t-shirt) ? Notez aussi sa position autour de la table : à l’opposé de Tekitamgac. La demoiselle debout à sa droite fait aussi partie du « gang », selon mes informations (extrêmement fiables dans ce cas précis) : ce sont ces deux « journalistes » qui ont été exclus lors du Day 2 à Tallinn.
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ATTENTION : qu’on ne se méprenne pas : ces deux documents ne constituent en aucun cas une preuve au sens juridique. Il ne s’agit que d’une vidéo, et d’une photo, montrant peut-être quelque chose de grave, peut-être rien.
Voilà pour le moment. Il y a tellement d’autres éléments que j’aurais pu exposer, mais le temps me manque, et à ce stade, il y a encore beaucoup d’informations non fondées qui circulent. Comme disait le commissaire Bialès dans un célèbre film d’humour drôle tourné à Cannes, justement, on va maintenant laisser la police faire son travail.
Les « médias poker » remis en question
Il y a encore beaucoup à dire sur cette affaire (notamment la collaboration, ou le manque de collaboration initiale entre les casinos et organisateurs qui a fait que l’affaire n’éclate que plusieurs mois après que les premières suspicions soient apparues), mais je me contenter de conclure en abordant ce qui pourrait être une des répercussions les plus dramatiques de l’affaire : la manière dont les médias vont maintenant être traités et accueillis lors des tournois de poker. Qu’on ne se méprenne pas : lorsque des journalistes sont suspectés, que ce soit pour mensonge, fraude ou autre, ce sont TOUS les journalistes qui en souffrent. Quand une affaire de ce genre éclate, nous devenons TOUS suspects aux yeux des joueurs et organisateurs. Tiens, prenez votre serviteur par exemple : comment peut-on être sur que je n’ai pas passé ces trois dernières années à aider le Team Winamax lors des grandes compétitions du circuit ? J’ai ma parole et mon honneur pour moi, mais que valent-elles dans cette situation ?
Mettez vous à la place d’un organisateur de tournoi habitué à voir des dizaines de journalistes débarquer lors de ses épreuves, déambulant librement entre les tables du matin au soir, du début à la fin des parties. On lui apprend qu’un groupe de faux journalistes se servaient de ce privilège pour se livrer à des actes de tricherie. Hé bien, cet organisateur de tournoi, je ne lui en voudrais pas de vouloir régler le problème en optant pour la solution la plus simple : faire en sorte que plus personne ne puisse déambuler entre les tables, excepté les personnes directement impliquées dans l’organisation du dit tournoi.
Il est encore trop tôt pour prédire ce qui va se passer, mais probablement que les choses ne seront plus jamais les mêmes : tout au moins, les esprits seront durablement marqués par cette affaire.
Cela fait maintenant six ans que j’évolue sur le circuit des tournois pros européens et américains, et en tant que journaliste, j’ai maintes fois eu l’occasion eu l’impression de représenter une nuisance autour des tables, que ce soit envers les joueurs, et les organisateurs. Moi et les autres journalistes ne sommes que des observateurs passifs, après tout : nous sommes complètement inutiles à la bonne marche d’un tournoi. J’ai toujours essayé de rester professionnel, en évitant de me montrer intrusif, en restant distant et courtois, bref en essayant de me faire tout petit, en restant le plus possible invisible, pour ne pas entraver la bonne marche du tournoi. Cela n’est pas le cas de tous mes confrères, et j’ai à de nombreuses occasions pu être témoin de conduites manquant de professionnalisme (des médias soutenant ouvertement leurs amis joueurs à coups de « high five » au beau milieu de la partie, ce genre de choses). Il faut rappeler la triste vérité : le milieu des médias poker reste majoritairement amateur, composé de passionnés n’ayant pour la plupart reçu aucune formation journalistique formelle, moi y compris.
A l’avenir, il faudra sans doute que les organisateurs de tournois soient plus vigilants quant aux personnes qu’ils laissent s’introduire dans l’enceinte des tables. Il faudra sans doute aussi introduire un peu plus de morale et de déontologie dans les pratiques de nous autres journalistes. Notre profession va souffrir de cette histoire : il va falloir en redorer le blason, et se montrer irréprochables en tous points.
Allez, place au jeu, maintenant !
Benjo
source: http://www.wam-poker.com/forums/partouche-poker-tour-finale-66802?t=66802&postdays=0&postorder=asc&start=0
Je trouve l’article de Benjo vraiment bon. Il résume bien la situation ainsi que les craintes que l’on peut avoir concernant l’avenir des journalistes de poker au sein des tournois live. Même si il me paraît improbable que l’on interdise la présence des journalistes sur les tournois live, les contrôles vont certainement être bien plus drastiques et les « nouveaux » journalistes n’auront pas d’accréditation aussi facilement qu’avant.