On a tendance à diviser les joueurs de poker entre sharks et fishs, entre pros (ou bons regs) réalisant d’énormes bénéfices et récréatifs jouant n’importe comment.
On oublie presque toujours le joueur moyen. A moins qu’il n’ait déjà un nom, appelons-le « dauphin », « dolphin » ou « amateur doué ».
Le joueur moyen ne joue pas au poker tous les jours. Il ne peut pas se le permettre, n’en pas le temps ni l’envie. Mais il aime ce jeu qui lui permet de travailler son intelligence, son sens tactique, sa psychologie, son esprit de compétition… et de réaliser quelques bénéfices appréciables, parfois de s’offrir un mois de loyer.
Il faudra bientôt, on peut le craindre, réécrire ces dernières phrases au passé.
Les moyens, les « dolphins » ne sont pas toujours appréciés. Pas assez doués pour être vedettes ou pour donner des cours, pas assez manipulables non plus et trop compliqués à pastiller. Ils ne jouent pas moins un rôle essentiel dans ce qu’on pourrait appeler « la chaîne alimentaire du poker ».
Au-delà de l’opinion des autres joueurs, la principale critique s’adresse bien sûr à la politique de certaines rooms et pays.
Les prélèvements excessifs touchent particulièrement les joueurs moyens, puisqu’ils transforment les petits bénéfices en pertes ou les bénéfices moyens en solde nul. Perdre quand on a mal joué est logique. A cause de la variance, c’est rageant mais cela fait partie du jeu. Perdre pour une autre raison, alors qu’on devrait être gagnant, il y a de quoi écœurer.
La politique visant à « protéger » les récréatifs (pas pour des raisons humanitaires, cela va de soi) au détriment des moyens est non seulement injuste mais relève du raisonnement à très court terme des plus stupides.
Je classerais les fishs en 3 catégories :
F1. Le perdant qui va continuer à perdre, soit parce qu’il se croit bon, soit parce qu’il confond poker et machine à sous en s’imaginant que la chance va lui sourire, soit par addiction.
F2. Celui qui prend conscience de ses défauts et décide de progresser.
F3. Celui qui prend conscience de ses défauts et décide d’arrêter.
En supprimant les joueurs moyens, on diminue les F2 et on augmente les F3. C’est toute une partie de la faune pokérienne qui disparaît. Pourquoi progresser si ces progrès ne se concrétisent pas par une baisse des pertes puis par des bénéfices ? A moins d’être champion de saut à la perche, il est difficile d’atteindre les étages supérieurs à partir du rez-de-chaussée dans un immeuble où l’on a supprimé les étages intermédiaires, l’escalier et l’ascenseur.
Le manque de tables depuis le passage au .fr a accéléré le processus. Il n’y aura bientôt plus que des NL2 et NL1000 pour le cash game et des tournois à 1€ ou 200€. Bonjour la gestion de bankroll ! Valable aussi bien pour les F2, les moyens que les pros ayant besoin de se refaire après un bad run.
Reste les F1 à chouchouter. Comment ? En transformant le poker en loto ? Autant aller au vrai loto : c’est moins fatigant pour le cerveau et même les récréatifs ont des chances de gagner.
Quant à l’avenir du poker, il ne se réduit pas à la fidélité de ceux qui jouent, il passe aussi par les non-joueurs qui voudraient s’y mettre. Il faudra davantage qu’une pub avec un roi qui tombe à la rivière pour les convaincre.
Si le poker se résume à des perdants addicts et des pros, certes intéressants, mais qui consacrent énormément de leur temps, ce n’est guère encourageant pour un éventuel nouveau.
J’ignore si l’animalerie du poker utilise déjà le dauphin, mais je vois chez ce prédateur moyen des océans un symbole fort à plusieurs titres, surtout s’il venait à disparaître.

