Gains taxés a 40%?

Dai_Vernon wrote:

C’est loin d’être aussi évident (je précise que je suis magistrat administratif).

J’avais lu un article où un avocat fiscaliste prétendait que selon la jurisprudence du Conseil d’Etat les revenus issus de paris hippiques pour quelqu’un qui possède une connaissance spéciale du milieu de nature à en réduire l’alea sont imposables au titre des bénéfices non commerciaux.

Ca m’avait étonné, j’ai donc vérifié, et il s’avère que la jurisprudence du CE dit exactement l’inverse ( ArianeWeb ) .

On pourrait en conclure que les joueurs de poker français sont protégés des foudres de l’administration fiscale.

Mais en réalité c’est loin d’être aussi simple.

D’abord parce que la doctrine administrative adopte une ligne beaucoup plus agressive, considérant que la possibilité pour le parieur d’influer sur l’alea permet de considérer ses gains, non plus comme issus de jeux de hasard, mais bien comme des bénéfices non commerciaux (BNC), donc imposables. Ou que les gains du joueur de bridge « professionnel » sont également imposables.

Ce décalage entre la jurisprudence du Conseil d’Etat et la doctrine administrative n’est pas vraiment résolu.

C’est d’autant plus embêtant que l’administration fiscale n’est aucunement liée par la jurisprudence administrative, et dispose d’une force de frappe telle que ses « bluffs » débouchent souvent sur des compromis (autrement dit, une fold equity digne de Phil Ivey ip en bulle de TF).

Ensuite, intellectuellement, la position de l’administration fiscale est renforcée par les arguments des joueurs de poker eux-mêmes qui ont pondu des pages et des pages, à longueur d’années, pour démontrer que le poker est un jeu de skill et pas de hasard. L’unanimité des « experts » sur une question technique qui échappe totalement aux magistrats pèse lourd, évidemment. Le raisonnement « poker → jeu de compétence → BNC → imposable » ne me paraît pas choquant juridiquement.

Bon, je considère personnellement que cette perspective pose en pratique un vrai problème de sécurité juridique, mais sans rentrer dans des détails trop techniques ce ne sera probablement pas la position du juge administratif (donc ni la mienne si je raisonne en droit pur), donc rien à attendre de ce côté-là.

Du côté du législateur non plus, évidemment ! Dès qu’on s’intéresse un peu aux travaux préparatoires du rapport Lamour, on s’aperçoit que la plupart des parlementaires considèrent les jeux en ligne comme une activité parasite dont la disparition n’empêcherait personne de dormir.

Une lueur d’espoir alors ? La question jeu de hasard/de compétence est une pure question d’ontologie juridique, les décisions d’autres cours suprêmes peuvent donc nous donner une idée de ce que le juge français pourrait en dire. Or la cour suprême suédoise s’est récemment prononcée sur la question : Swedish Supreme Court Makes Controversial Poker Ruling - Poker News Daily

Face à une question impossible, la réponse est ridicule évidemment, on ne peut pas trancher sans ignorer un aspect du jeu ; en outre, le statut des joueurs perdants n’apparaît à aucun moment dans le raisonnement (dans quelle mesure le comportement et la compétence de l’adversaire constituent-t-ils en soi un alea impossible à prévoir et à maîtriser ?). Il faudrait admettre que le poker appartient à une catégorie hybride (avec un régime fiscal qui resterait à déterminer).

Le statu quo devrait alors profiter aux joueurs … jusqu’à ce que la partie soit rigged par une nouvelle intervention du législateur (qui poserait pour le coup un vrai problème de sécurité juridique).

Bref, mon conseil à ceux qui envisagent de vivre légalement et modestement du poker en France ces prochaines années, c’est de garder sous le coude leur plan B.

Merci pour ces explications éclairantes.

Question de béotien: je pensais que la “doctrine administrative” provenait essentiellement de la jurisprudence du CE. Comment les TA peuvent obéir à une doctrine constituée indépendamment de la jurisprudence du CE?

[url]http://www.assemblee-nationale.fr/13/tribun/fiches_id/333611.asp[/url]

Pourquoi ne pas envoyer un (ou 500.000) email(s) à la députée qui dit n’importe quoi ?.. C’est possible via le lien ci-dessus.

Archie Lock wrote:

[quote]Dai_Vernon wrote:

C’est loin d’être aussi évident (je précise que je suis magistrat administratif).

J’avais lu un article où un avocat fiscaliste prétendait que selon la jurisprudence du Conseil d’Etat les revenus issus de paris hippiques pour quelqu’un qui possède une connaissance spéciale du milieu de nature à en réduire l’alea sont imposables au titre des bénéfices non commerciaux.

Ca m’avait étonné, j’ai donc vérifié, et il s’avère que la jurisprudence du CE dit exactement l’inverse ( ArianeWeb ) .

On pourrait en conclure que les joueurs de poker français sont protégés des foudres de l’administration fiscale.

Mais en réalité c’est loin d’être aussi simple.

D’abord parce que la doctrine administrative adopte une ligne beaucoup plus agressive, considérant que la possibilité pour le parieur d’influer sur l’alea permet de considérer ses gains, non plus comme issus de jeux de hasard, mais bien comme des bénéfices non commerciaux (BNC), donc imposables. Ou que les gains du joueur de bridge « professionnel » sont également imposables.

Ce décalage entre la jurisprudence du Conseil d’Etat et la doctrine administrative n’est pas vraiment résolu.

C’est d’autant plus embêtant que l’administration fiscale n’est aucunement liée par la jurisprudence administrative, et dispose d’une force de frappe telle que ses « bluffs » débouchent souvent sur des compromis (autrement dit, une fold equity digne de Phil Ivey ip en bulle de TF).

Ensuite, intellectuellement, la position de l’administration fiscale est renforcée par les arguments des joueurs de poker eux-mêmes qui ont pondu des pages et des pages, à longueur d’années, pour démontrer que le poker est un jeu de skill et pas de hasard. L’unanimité des « experts » sur une question technique qui échappe totalement aux magistrats pèse lourd, évidemment. Le raisonnement « poker → jeu de compétence → BNC → imposable » ne me paraît pas choquant juridiquement.

Bon, je considère personnellement que cette perspective pose en pratique un vrai problème de sécurité juridique, mais sans rentrer dans des détails trop techniques ce ne sera probablement pas la position du juge administratif (donc ni la mienne si je raisonne en droit pur), donc rien à attendre de ce côté-là.

Du côté du législateur non plus, évidemment ! Dès qu’on s’intéresse un peu aux travaux préparatoires du rapport Lamour, on s’aperçoit que la plupart des parlementaires considèrent les jeux en ligne comme une activité parasite dont la disparition n’empêcherait personne de dormir.

Une lueur d’espoir alors ? La question jeu de hasard/de compétence est une pure question d’ontologie juridique, les décisions d’autres cours suprêmes peuvent donc nous donner une idée de ce que le juge français pourrait en dire. Or la cour suprême suédoise s’est récemment prononcée sur la question : Swedish Supreme Court Makes Controversial Poker Ruling - Poker News Daily

Face à une question impossible, la réponse est ridicule évidemment, on ne peut pas trancher sans ignorer un aspect du jeu ; en outre, le statut des joueurs perdants n’apparaît à aucun moment dans le raisonnement (dans quelle mesure le comportement et la compétence de l’adversaire constituent-t-ils en soi un alea impossible à prévoir et à maîtriser ?). Il faudrait admettre que le poker appartient à une catégorie hybride (avec un régime fiscal qui resterait à déterminer).

Le statu quo devrait alors profiter aux joueurs … jusqu’à ce que la partie soit rigged par une nouvelle intervention du législateur (qui poserait pour le coup un vrai problème de sécurité juridique).

Bref, mon conseil à ceux qui envisagent de vivre légalement et modestement du poker en France ces prochaines années, c’est de garder sous le coude leur plan B.[/quote]

Oui merci beaucoup pour cette explication. Je t’avoue que je n’ai pas tout compris, mais je vais relire avec attention :wink:

Mais ce que je ne comprends pas c’est pkoi :
[doctrine administrative] > [Loi] + [jurisprudence CE]

Les lois ça sert à quelque chose nan quand même ?
Mais la réponse doit être dans la relecture de ton post :wink:

Et d’ailleurs, qu’appelez-vous la doctrine administrative svp ?

C’est vrai que cette députée ne semble pas savoir de quoi elle parle …
Extrait de son blog:
la députée PS Aurélie Filippetti “recommande à titre personnel” d’imposer, comme en Belgique, aux opérateurs la mise en place d’un taux maximal de perte horaire pour les joueurs, de “70 euros par heure, par exemple”. :woohoo:

gwal38 wrote:

[quote][url]http://www.assemblee-nationale.fr/13/tribun/fiches_id/333611.asp[/url]

Pourquoi ne pas envoyer un (ou 500.000) email(s) à la députée qui dit n’importe quoi ?.. C’est possible via le lien ci-dessus.[/quote]

Imo quand quelqu’un a quelqu’un/quelque chose dans le pif, aller l’emmerder ne fait qu’empirer les choses.

Jadupsky wrote:

C’est vrai que cette députée ne semble pas savoir de quoi elle parle …[/quote]

J’ai l’impression que c’est le lot commun des députés, parler et légiférer sur des sujets sans rien y connaître.
Quand t’es maire et conseiller régional en même temps, dur dur de se pencher sérieusement sur un dossier :unsure:

La doctrine administrative, qui en matière fiscale se distingue par son volume et son importance comme source de droit, cela correspond aux écrits par lesquels l’administration expose son interprétation de la loi.

Aurélie Filippetti n’est pas quelqu’un de déraisonnable ou d’irrationnel, c’est juste qu’à ceux qui n’y connaissent rien, le poker en ligne apparaît comme un nouvel opium du peuple qui va causer la ruine de foyers modestes sans rien apporter à la société. Bien sûr, c’est une vision partielle et caricaturale, mais elle repose tout de même sur certains éléments objectifs. Dans leur esprit, légiférer pour limiter les pertes, c’est du même ordre que mettre des radars sur les routes pour sauver des vies.

C’est donc aux joueurs d’être pédagogues, de démontrer que 99% d’entre nous ont une pratique parfaitement saine, que des garde-fous existent déjà, et qu’enfin si un type veut miser l’intégralité de son salaire au jeu, aucune loi ne pourra l’en empêcher. Il vaut mieux encadrer les pratiques à risque par l’intermédiaire des sites et de l’ARJEL, qui peuvent les détecter et contacter les intéressés, plutôt que de se donner l’illusion de les interdire par des lois qui ne font que déplacer le problème. Mais de là à en convaincre les élus, gl all …

Archie Lock wrote

Encore une fois, je ne comprend pas comment cette doctrine administrative peut s’émanciper des décisions de jurisprudence au point de contredire certaines d’entre elles. On nage dans le plus grand floue pour qui n’est pas du sérail, et cela pose la question de la sécurité juridique.

Merci Archie pour ta réponse