Dai_Vernon wrote:
C’est loin d’être aussi évident (je précise que je suis magistrat administratif).
J’avais lu un article où un avocat fiscaliste prétendait que selon la jurisprudence du Conseil d’Etat les revenus issus de paris hippiques pour quelqu’un qui possède une connaissance spéciale du milieu de nature à en réduire l’alea sont imposables au titre des bénéfices non commerciaux.
Ca m’avait étonné, j’ai donc vérifié, et il s’avère que la jurisprudence du CE dit exactement l’inverse ( ArianeWeb ) .
On pourrait en conclure que les joueurs de poker français sont protégés des foudres de l’administration fiscale.
Mais en réalité c’est loin d’être aussi simple.
D’abord parce que la doctrine administrative adopte une ligne beaucoup plus agressive, considérant que la possibilité pour le parieur d’influer sur l’alea permet de considérer ses gains, non plus comme issus de jeux de hasard, mais bien comme des bénéfices non commerciaux (BNC), donc imposables. Ou que les gains du joueur de bridge « professionnel » sont également imposables.
Ce décalage entre la jurisprudence du Conseil d’Etat et la doctrine administrative n’est pas vraiment résolu.
C’est d’autant plus embêtant que l’administration fiscale n’est aucunement liée par la jurisprudence administrative, et dispose d’une force de frappe telle que ses « bluffs » débouchent souvent sur des compromis (autrement dit, une fold equity digne de Phil Ivey ip en bulle de TF).
Ensuite, intellectuellement, la position de l’administration fiscale est renforcée par les arguments des joueurs de poker eux-mêmes qui ont pondu des pages et des pages, à longueur d’années, pour démontrer que le poker est un jeu de skill et pas de hasard. L’unanimité des « experts » sur une question technique qui échappe totalement aux magistrats pèse lourd, évidemment. Le raisonnement « poker → jeu de compétence → BNC → imposable » ne me paraît pas choquant juridiquement.
Bon, je considère personnellement que cette perspective pose en pratique un vrai problème de sécurité juridique, mais sans rentrer dans des détails trop techniques ce ne sera probablement pas la position du juge administratif (donc ni la mienne si je raisonne en droit pur), donc rien à attendre de ce côté-là.
Du côté du législateur non plus, évidemment ! Dès qu’on s’intéresse un peu aux travaux préparatoires du rapport Lamour, on s’aperçoit que la plupart des parlementaires considèrent les jeux en ligne comme une activité parasite dont la disparition n’empêcherait personne de dormir.
Une lueur d’espoir alors ? La question jeu de hasard/de compétence est une pure question d’ontologie juridique, les décisions d’autres cours suprêmes peuvent donc nous donner une idée de ce que le juge français pourrait en dire. Or la cour suprême suédoise s’est récemment prononcée sur la question : Swedish Supreme Court Makes Controversial Poker Ruling - Poker News Daily
Face à une question impossible, la réponse est ridicule évidemment, on ne peut pas trancher sans ignorer un aspect du jeu ; en outre, le statut des joueurs perdants n’apparaît à aucun moment dans le raisonnement (dans quelle mesure le comportement et la compétence de l’adversaire constituent-t-ils en soi un alea impossible à prévoir et à maîtriser ?). Il faudrait admettre que le poker appartient à une catégorie hybride (avec un régime fiscal qui resterait à déterminer).
Le statu quo devrait alors profiter aux joueurs … jusqu’à ce que la partie soit rigged par une nouvelle intervention du législateur (qui poserait pour le coup un vrai problème de sécurité juridique).
Bref, mon conseil à ceux qui envisagent de vivre légalement et modestement du poker en France ces prochaines années, c’est de garder sous le coude leur plan B.