Costa Croisière, le nouvel eldorado du poker ? (1/4)

Costa Croisière, le nouvel eldorado du poker ? (1/4)

En mars 2010, Mizar nous racontait sur le forum de Poker Académie ses aventures à une table de poker électronique, lors d'une croisière. C'est comme si c'était hier...


Première soirée : Le paradis du joueur ?

En direct du golfe persique, pour une semaine de croisière en famille. Après deux jours de plein soleil, il fait un temps pourri. J'en profite donc pour vous narrer mes aventures pokeristiques à bord du Costa Luminosa, dernier fleuron de la flotte de navires Costa Croisières qui, comme son nom l'indique, est une compagnie italienne spécialisée dans les croisières…

Pour la première fois depuis bien longtemps, j'avais prévu de faire un break poker de huit jours. Pas de check/raise, d'induce bluff ou de bad beats au programme, mais plutôt la visite de Dubai, Abu Dhabi, Bahrein et consorts entre deux séances de jacuzzi et quelques cocktails colorés.

 Une semaine de repos sans poker sur un beau bateau Costa Croisière


Un programme soudainement chamboulé lorsque hier soir, je traverse le casino du bateau en tout bien tout honneur (si, si !). Coincé entre deux tables de black jack et une poignée de bandits manchots, je vois de loin quatre Italiens bruyants (pléonasme)et gesticulants (tautologie), attablés à une table ovale qui me rappelle vaguement quelque chose. Mu par une curiosité légitime, je m'approche lentement et découvre qu'il s'agit d'une table de poker électronique. Diantre ! Je n'avais pas du tout prévu ce scénario. Sur le site Internet du bateau, j'avais évidemment vérifié au préalable la liste des jeux proposés au casino : machine à sous, black jack, roulette, stud poker... mais à priori pas de texas holdem.

Je me renseigne immédiatement auprès d'un responsable du casino qui me confie que cette table a été installée il y a quelques semaines seulement. Caves minimum à 50 euros et maxi à 200 euros (blinds 1/2).

Il est 23h sur le bateau (20h à Paris). Et ce serait pour moi une véritable faute professionnelle de ne pas m'asseoir à cette table. D'autant que je ne suis pas prêt de trouver le sommeil. Et qu'au programme de la soirée, c'est ça ou l'élection du Mister Costa croisière de la semaine. Mon choix est vite fait.

Une table de poker electronique


Première déception, les quatre macaronis viennent apparemment de commencer et son tous cavés à 50 euros. Je ne suis pas prêt de rembourser ma croisière moi ! Il me faut deux-trois minutes pour me familiariser avec l'engin. Les mises, ainsi que la taille du pot, ne ressortent pas assez clairement sur l'écran principal. Lors des premiers coups, mes adversaires et moi-même nous approchons systématiquement du centre (là où se trouve l'écran principal qui affiche les cartes et les mises) en fronçant les sourcils pour certains, en remontant les lunettes sur le nez pour d'autres, comme si nous examinions tous à tour de rôle au microscope un spécimen rare de lombric local. Un rituel systématique qui dure facilement un quart d'heure. Est-ce en raison de la tronche d'ahuri que nous faisons tous à chaque fois que c'est à notre tour de jouer ? Toujours est-il que rapidement, un petit attroupement se crée autour de la tablée. Et en quelques minutes, trois autres Italiens nous rejoignent eux aussi.

 

Deuxième déception : le rake semble atteindre 10% et j'ai un affreux doute sur le fait qu'il soit capé ou pas... Les coups commencent à s'enchaîner. Tant bien que mal. Et là, je rentre rapidement dans la cinquième dimension. D'abord parce que certains semblent découvrir le fonctionnement de la table électronique... mais aussi le jeu lui même. Du coup ça tâtonne, ça met trois plombes avant de miser et ça commet parfois quelques boulettes.

Ainsi le dernier Italien arrivé, que l'on baptisera Penne Alarabiata pour la facilité du récit, appuie sur le bouton all in d'entrée (50 euros) au cutoff avant de se rendre compte de son erreur. De small blind, je découvre et décide lâchement de folder. Ce qui n'est pas le cas derrière moi de Fetuccini Alpesto, dont la paire de viendra s'empaler contre le adverse.

 

Mes amis à table sont volubiles, le jeu est terriblement lent (surtout quand on a l'habitude de multitabler sur Internet) et à chaque tour, un gars se fait sermonner par son compatriote parce que c'est à lui de jouer, mais qu'il ne s'en rend pas compte parce qu'il est en train de palabrer... Dans cette ambiance de carnaval vénitien, le jeu est très loose passif, à l'exception de Penne, qui tend à surjouer fortement ses mains (en gros, bottom pair = nuts).

Parmi les personnages de cette commedia del arte, il y a d'abord Spaghetti Alacarbonara. Spaghetti a beaucoup de mal à cacher son jeu. Ainsi, lorsqu'il touche son brelan d'As à la river, il ne peux pas s'empêcher "d'éructer de joie" puis d'applaudir bruyamment. Le seul problème, c'est que ses deux adversaires dans le coup n'ont pas encore joué à la river avant lui. Quand il se rend compte de sa méprise, Spaghetti devient tout rouge (et est rebaptisé du même coup Alabolognaise), tandis que tous ses amis, morts de rire, le chambrent allègrement. Pas fous, les deux adversaires qui le précèdent checkent prudemment. Ce qui n'empêche pas Spaghetti, pourtant peu réputé pour son jeu agressif jusqu'à présent, de miser 40 euros dans un pot de 24 euros. Fold adverse et Spaghetti de montrer, bravache, un brelan d' kicker . Et la table de s'agiter aussitôt, chacun y allant de son commentaire, avec plein de mots qui finissent en "i".

Spaghetti Alabolognaise (photo prise d'un Iphone)


Il y a aussi Bruschetta. Le moins extraverti des joueurs à tables concourt avec Spaghetti pour le titre de Mister passif de la soirée. Il n'hésite ainsi pas à limper au small blind ses puis, quelque coups plus tard, à checker son full max face à trois adversaires. Un induce bluff terriblement vicelard... sauf que Bruschetta est alors au bouton et qu'il n'y a plus personne derrière lui...

 

Il y a le clone de Flavio Briatore. Flavio a plusieurs atouts. Il est sympa et est soutenu derrière lui par une blonde voluptueuse, qui s'est fait opérer des lèvres par le même chirurgien qu'Emmanuel Béart (le professeur Delajoux ?) et qui vibre à chacun de ses exploits. Flavio a pour particularité de ne pas miser quand il n'a rien, de miser petit quand il a une petite main, de mise plus gros quand il a la paire max, et d'overbetter quand il a du très lourd. Il a également l'habitude de souffler de dépit quand il a raté son tirage ou quand il n'a pas de jeu, alors même que le coup se déroule. C'est assez déstabilisant au début. On redoute la ruse de sioux, le coup classique du mec qui veut faire croire qu'il est faible alors qu'il est fort. Mais non. Flavio a un métagame bien plus élaboré et joue probablement sur le fait qu'il sait qu'on sait qu'il sait qu'on sait, etc... Flavio montre tout simplement son dépit lorsqu'il n'a pas de jeu. Mais si d'un seul coup, Flavio se tait, s'avance de 50 centimètres sur la table, grandit d'autant de centimètres... alors là méfiance !

 

Enfin, il y a Tortellini Alpomodoro. Pas grand chose à signaler sur Tortellini à part ses lunettes vertes et le fait qu'il soit sans doute un précurseur dans le milieu du poker. Tortellini a en effet inventé un nouveau concept : le donk bet fold, qu'il pratique assidûment, face à un ou plusieurs joueurs. Tortellini n'hésite pas non plus à folder preflop de Big Blind lorsque ses adversaires ont tous limpé. Sans doute se méfie-t-il du rake exorbitant prélevé à la table, et préfère-t-il en payer le moins possible...

 

De mon côté pas grand chose à signaler lors des deux premières heures. Je monte à 250 euros avant de redescendre à 170 euros, frappé de plein fouet par la ventrale backdoor de Spaghetti Alabolognaise. Spaghetti est finalement assez redoutable et m'outplay à au moins trois reprises. Non sans une certaine cruauté. Comme lorsque face à 5 limpers, je découvre au Big Blind et opte peu courageusement pour un limp. Petit pot-pourri - au sens propre et figuré - d'une soirée. 

Le flop rainbow m'oblige à fébrilement donk better 8 euros dans un pot de 12. Sans doute conscients de ma fébrilité, quatre de mes adversaires instacallent aussitôt.

Le flop, un , me donne un véritable haut-le-cœur. Je pressens aussitôt que Bruschetta a touché ses 2 paires avec son et que Penne a eu ce qu'il voulait : sa quinte avec son .

Blême, je check illico, imité par mes quatre Italiens. Un silence pesant s'installe à table...

La river, un Valet, n'arrange pas mes affaires. Tout le monde check à nouveau et Spaghetti s'adjuge ce pot familial avec son terrible . "Bravooo, bravooo", le félicite sportivement Penne, qui finalement n'avait pas touché sa quinte.

Sur le coup, j'avoue ne pas comprendre. Pourquoi Spaghetti m'a-t-il payé au flop en deuxième position dans un pot à six joueurs avec ? Mais après une courte réflexion, tout s'éclaire : Alabolognese ne pouvait folder une telle main alors que le probable call de toute la table derrière lui donnait une belle cote pour toucher sa backdoor quinte. Sans oublier, que le Valet, une overcard, pouvait toujours s'avérer décisif !

Même redoutable, Spaghetti allait pourtant se faire destacker peu après sur un board en callant avec et plusieurs joueurs dans le coup le trois barrels de Tortellini, lequel détenait ...

 

Les Italiens se destackent mutuellement dans un combat sanglant, où la ventrale touchée (ou pas) fait souvent la différence au final. Sur les coups de 1h30 du matin, Tortellini, grand gagnant de la soirée, décide de nous quitter de son plein gré (les autres, eux, n'avaient pas choisi) et je me retrouve à table face à deux joueurs : Flavio plus un Espagnol, qui s'était installé peu avant.

Entre temps, je suis remonté à 202 euros pour un bénef de 2 euros et un gain horaire de 80 centimes de l'heure. Mais, comme disait mon grand père, il n'y a pas de petit bénéfice.

Le combat est âpre et il n'y a pas de temps à perdre. Le rake rode autour de nos stacks respectifs, tel un vautour autour de sa proie. Et c'est encore plus flagrant à 3 joueurs !

Mes deux adversaires discutent. L'un parle en Espagnol et l'autre répond en Italien. Ils semblent très bien se comprendre. J'essaie de m'inviter dans la conversation dans un mélange de Français-Anglais qui laisse mes deux amis apparemment perplexes. Flavio me toise, sourcil levé, et me lance : "No capito !". J'avoue être désarçonné. Pourquoi donc, sur les coups de 2 h du matin, Flavio se sent-il obligé de me confier qu'il n'a pas vu Le Capitan, un film d'André Hunebelle avec Jean Marais et Bourvil ???

Certes, j'aurais pu tenter de m'exprimer en espagnol, puisque c'était ma deuxième langue au lycée. Mais le 5 que j'ai pris dans la face à l'oral du Bac m'a totalement complexé vis-à-vis de la langue de Cervantes. Enfin bref, le combat à trois, lui, continue.

 

A 2h17 AM, j'inflige un terrible set up au valeureux Flavio. Sur un board , les tapis volent. Flavio a moi . J'ignore si Flavio m'a invectivé à ce moment-là. Mais une suite ininterrompue et indiscernable de mots finissant par "i" se sont échappés de sa bouche pendant une bonne dizaine de secondes. Seul un mot terminant par "o" s'intercalant de temps à autre ("vafenculo ?" ).

Flavio se lève alors non sans une certaine dignité et nous souhaite, l'Ibère et moi, "una buena notte", bras dessus-dessous avec sa supportrice n°1. L’œil grivois, je ne peux alors m'empêcher de penser qu'il rentrera dans sa chambre avec une grosse paire en main.

 

Reste l'ultime combat, pas le plus facile, face à l'Espagnol. Antonio a encore 75 euros devant lui. C'est sans doute le meilleur joueur de la soirée car il est plutôt imprévisible, à fortiori en Heads Up. L'avantage, c'est qu'il croit que je le bluffe tout le temps. Il me faudra tout de même prêt de 3/4 d'heure pour venir à bout de ce jeune homme au catogan et au teint hâlé.

 

Petite précision : avant ce heads up final, j'avais 260 euros à table. Après avoir destacké mon adversaire, je culmine à 261 euros. 

Conclusion : j'ai lâché 74 euros en rake pendant ce laps de temps ! Il vaut donc mieux avoir un sacré edge sur son adversaire en HU et un minimum de profondeur de tapis pour que ça soit rentable sur ce genre de tables.

Question : Est-ce que j'y retournerai ce soir ? Bah... c'est ça ou soirée bingo...


(à suivre)

 

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