Poker, argent, baisers et électrochocs

Poker, argent, baisers et électrochocs

Deux chercheurs de l’université de Chicago ont publié une étude intitulée “Money, kisses and electric shocks” sur la psychologie des probabilités, dont les conclusions serviront aux joueurs de poker.

Le poids des probabilités : principes de bases

J’en ai parlé dans plusieurs articles, notamment Pourquoi les gens jouent mal au poker ? : en situation de pari, la majorité agit de manière irrationnelle.
Tout d’abord, il y a une tendance à l’aversion au risque. Ainsi, on préfère généralement recevoir 80€ à coup sûr, que jouer un pile ou face 0€ / 200€.
Mais c’est surtout dans les probabilités extrêmes que l’on voit le plus d'irrationalité.
Les très petites probabilités, soumises à l’effet de possibilité, sont grandement surévaluées. C’est ce qui explique pourquoi beaucoup de gens adorent jouer au loto, ou ont une peur démesurée de mourir en avion ou tué par un requin. On ne fait pas, ou trop peu, de différence entre 0.01% , 0.1% et 1%. Face à ces petites probabilités, on agit comme si elles étaient de l’ordre de 5 à 10%.
Pour les très grandes probabilités, c’est l’inverse qui se produit : on préfère généralement gagner 90 000€ qu’avoir 99% de chance de gagner 100 000€ Autrement dit, entre 50 et 51% il n’y a quasiment aucune différence, alors qu’entre 0 et 1% ou entre 99 et 100%, on perçoit une différence énorme.

C’est d’ailleurs vrai au poker, de manière prononcée chez les débutants : un 49/51 et un 51/49 sont vécus de la même manière “bah c’est des coin-flips quoi” alors que la différence entre être absolument drawing dead et être à 2% est prononcée “allez on y croit, je suis pas mort !” tout comme l’est la différence entre 98 et 100% “pas de bad beat s’il te plait !”

Le poids des probabilités : le rapport affectif

Dans leur étude “Money, kisses and electric shocks” les psychologues Rottenstreich et Hsee ont montré que les petites probabilités étaient d’autant plus surestimées qu’elles étaient riches en émotion (affect-rich) et les grandes probabilités d’autant plus sous-estimées qu’elles étaient riches en émotion. Autrement dit, plus la charge émotive est petite (affect-poor), plus l’on est rationnel.

Pour prouver leur hypothèse, les chercheurs ont réalisé trois expériences.

Kisses and cash

Les cobayes devaient choisir entre (imaginer) recevoir 50$ et embrasser leur star de cinéma préférée. Ils étaient répartis en deux groupes : certitude et loterie. La loterie correspondait à une proba de 1% : préférez-vous avoir 1% de chance d’embrasser votre star préférée, ou 1% de chance de gagner 50$, la certitude correspondait à une proba de 100%.
Dans le groupe certitude, la majorité (70%) choisissait le cash.
Dans le groupe lotterie, la majorité (65%) choisissait le baiser.
Un baiser avec une star ayant a priori une plus grande charge émotive qu’un billet de 50, cette expérience corrobore l’hypothèse.

Coupons

Dans la deuxième expérience, il était question de deux sortes de coupons : les deux d’une valeur de 500$, l’un était pour un voyage en Europe (Paris, Venise, Rome) et l’autre pour une déduction des frais de scolarité. Les étudiants cobayes devaient décider quel prix ils étaient prêts à mettre pour tenter de gagner un coupon à une loterie, soit à 1% soit à 99%.

 

 

Voyage

Scolarité

1%

20$

5$

99%

450$

478$

Là encore, on voit que l’irrationalité est bien plus importe dans la situation émotionnellement riche.

Electrochoc et amendes

Dans la troisième et dernière expérience, les cobayes devaient (imaginer) revendre une loterie négative : le “gain” était soit une amende de 20$ soit un électrochoc, "douloureux mais pas dangereux".

 

 

Electrochoc

Amende de 20$

1%

7$

1$

99%

10$

18$

Ils préféraient donner 1$ plutôt que d’avoir 1 chance sur 100 d’en perdre 20 et donner 18$ plutôt que d’avoir 99 chances sur 100 d’en perdre 20. C’est irrationnel, mais bien moins que dans la condition “affect rich” où il n’y a presque pas de différence entre 1% et 99% !

Poids des probabilités au poker

Il est nécessaire de savoir que les joueurs vont avoir tendance à exagérer les petites probabilités et amoindrir les grosses. Il est préférable de savoir que cette tendance s'accroît avec la dose affective.
Ca sera le cas d’un joueur scared-money, par exemple d’un amateur qui couche tout à l’approche de la bulle d’un gros tournoi, alors que le pro n’hésitera pas à jouer et si jamais il se prend un cooler et saute, c’est la vie.
Ce même amateur pourrait ensuite accepter un deal nettement désavantageux s’il lui garantit une belle somme.
Un autre exemple de charge affective élevée est simplement celui du joueur en tilt qui va oublier les cotes élémentaires et tout payer avec un pauvre tirage.

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