Chunks et poker

Chunks et poker

Comment mémoriser une série de 16 chiffres en quelques secondes ? Pourquoi les fishs ne se souviennent jamais de leurs coups ? Découvrez le concept de chunking et ses implications au poker.

Chunk et mémoire

Essayez de retenir la série de chiffre suivante juste en la lisant une fois ou deux et récitez-la avant de vérifier :
1, 8, 6, 4, 3, 2, 2, 5
Allez, un nouvel essai avec un chiffre de plus à retenir :
2, 4, 9, 1, 8, 0, 3, 1, 7
Encore plus difficile avec maintenant seize chiffres à retenir :
1, 7, 8, 9, 1, 9, 1, 8, 1, 9, 4, 5, 2, 0, 1, 5

Il est probable que beaucoup d’entre vous ont eu du mal aux deux premières séries et n’ont même pas tenté de mémoriser la troisième. Il existe en faite des astuces qui permettent à tous de retenir facilement ces chiffres.

Reprenons la série n°1, mais au lieu de la séparer en 8 chiffres distincts 1, 8, 6, 4, 3, 2, 2, 5, transformons-la en 4 nombres à deux chiffres : 18, 64, 32, 25 et c’est tout de suite plus facile à retenir. Faites l’essai avec une nouvelle série :
23, 31, 18, 59

Pour la série n°2, à 9 chiffres, on peut la diviser en 3 nombres à 3 chiffres : 249, 180, 317. Essayez cette technique pour mémoriser cette nouvelle série :
189, 450, 978.

Il pouvait vous sembler impossible de retenir seize chiffres en quelques secondes. Mais divisez cette troisième série en nombre de 4 chiffres, et vous verrez apparaître des dates connues, “mémorables” : 1789, 1918, 1945, 2015. Facile, non ?

La mémoire à court terme est globalement limitée à 4 “chunks”, ou unités d’information. Ainsi, vouloir retenir 8 chiffres séparés demande de retenir 8 chunks alors que retenir 4 nombres à deux chiffres correspond à uniquement 4 chunks. C’est donc beaucoup plus simple, malgré l’apparente équivalence. C’est d’ailleurs pour cela qu’en France les numéros de téléphone sont regroupés en cinq nombres à deux chiffres.

Un chunk peut être à peu près n’importe quoi, du moment qu’il nous est familier. C’est le cas des chiffres et des nombres à deux chiffres, mais moins de ceux à trois et c’est pourquoi je vous ai fait retenir trois nombres à trois chiffres et non pas quatre, et c’est aussi le cas des dates clefs comme celle de la Révolution française (mais pas de la plupart des nombre à quatre chiffres).

Chunk et cerveau

Un “chunk”, outre une unité mémorielle, désigne également le réseau de neurones correspondant à cette information. Les neurones qui s’activent ensemble se lient ensemble (ça sonne bien mieux en anglais, voir l'image !) et à chaque fois que vous découvrez une nouvelle chose, vous créez un lien entre différents neurones. Si vous n’y repensez plus jamais, ce lien finira par disparaître, mais si vous répétez plusieurs fois, le lien se solidifiera et on pourra parler de chunking, ou création de chunk.

Ainsi, quand vous voyez le chiffre 1, un réseau de neurones s’active. Idem quand vous voyez les chiffres 7, 8 et 9. Mais quand vous voyez 1789, ce ne sont pas ces quatre réseaux qui s’activent, mais un seul, celui qui correspond à la date 1789 et qui a été fabriqué et renforcé à l’école et durant toutes les fois où vous avez répété 1789. En conséquence, retenir 1789 ne demande pas plus d’énergie que de retenir un seul chiffre.

Chunk et poker

Les chunks ont une place centrale au poker et dans les jeux en général. De fait, une grosse partie de l’entraînement consiste en du chunking.

Vous avez sûrement constaté que plus un joueur est fort, mieux il se souvient des coups. Quand un tout débutant parle d’un move, c’est souvent risible : il se souvient ni de sa main, ni de sa position, ni des stacks, ni du board et ça donne du “j’avais un As, tapis, pas eu de chance, perdu”.

En fait, je ne crois pas que les bons joueurs de poker aient forcément une bonne mémoire en général, c’est surtout qu’ils disposent d’une vaste “bibliothèques de chunks pokeristiques”.

Ainsi, pour quelqu’un qui n’a jamais touché un jeu de carte, retenir revient à retenir 4 informations : les deux valeurs et les deux couleurs. La mémoire à court terme d’un tout débutant est donc déjà saturée quand il reçoit les cartes ! Alors que pour un joueur ne serait-ce qu’à peine expérimenté, correspond à un seul chunk, sa mémoire de travaille dispose donc de place pour encore 3 autres chunks ! De la même manière, quand un reg de Omaha reçoit par exemple il ne voit pas quatre cartes, mais une seule main, un seul chunk.

Quand on progresse encore, à force de voir et revoir des spots, des situations entières finissent par devenir un seul chunk et on peut sans effort se les remémorer, ainsi que le move à jouer. Si vous voyez du CG 6-max 100 bb deep, le bouton open à 3bb, la big blind relance à 10, c’est standard et ça correspond donc à un de vos chunks. Vous n’avez aucun mal à vous en rappeler, vous avez une idée du range des deux joueurs et pourriez conseiller le bouton si vous connaissiez sa main. En revanche si vous voyez du CG 6-max, des joueurs à 900 bb deep, le bouton open à 7 et la grosse blind relance à 36, il y a peu de chances que ce spot corresponde à un chunk. S’en souvenir demande de l’effort et a priori nos automatismes, notre intuition, ne nous sont d’aucune utilité.

C’est parce que la formation de chunks demande de la répétition (pour éviter que les réseaux de neurones formés ne disparaissent) qu’il est impossible de bien jouer au poker uniquement en étudiant la théorie dans des articles ou des bouquins. Ces cours nous donnent une idée générale de ce qu’il faut faire et c’est très bien quand on débute. Si un débutant lit un bon article sur le 3 bet light il pourra décider in game quand le faire, mais ça lui demandera un réel effort et du temps de réflexion. En revanche, quand on a effectué des centaines voire des milliers de 3 bet light et qu’un spot se présente, on compare (inconsciemment) la situation avec celles similaires que l’on a chunkées en mémoire et choisir son move se fait sans effort. Là où le débutant doit travailler avec énormément d’unités d’informations : ses cartes, le montant de l’open raise, les jetons, le pfr adverse, son image, etc… le reg n’utilise qu’un seul chunk : le spot en entier.

Il est donc primordial de disposer du plus grand nombre de chunks possibles et pour en créer il n’existe qu’une recette : pratiquer, pratiquer, pratiquer.

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