L'erreur fondamentale d'attribution au poker

L'erreur fondamentale d'attribution au poker

Quand les autres joueurs perdent, c’est qu’ils sont nuls. Quand on perd, c’est qu’on a pas eu de chance. Quand les autres agissent mal, c’est que c’est des salauds. Quand on agit mal, c’est qu’on avait une bonne raison… Voici pourquoi.

Définition de l'erreur fondamentale d'attribution

Vous êtes tranquillement en train de vous balader en ville, lorsqu’un automobiliste au feu rouge se met à klaxonner et insulter le chauffeur devant lui. Vous pensez “c’est un abruti de sauvage”.
Vous vous asseyez à une table et voyez un joueur raiser à chaque street, partir all in à la river et se faire insta call par les nuts. Vous pensez “c’est un spewtard de fish”.

Nous avons tous tendance à expliquer le comportement d’autrui par des causes internes (qualités de l’acteur) en négligeant les causes externes (la situation). Ce biais est connu comme l’erreur fondamentale d’attribution.

Notons que pour expliquer nos propres comportements, nous procédons généralement à l’inverse, en surestimant les facteurs externes et en négligeant les facteurs internes.

Nous aussi il nous arrive de klaxonner et d’insulter les autres au volant. Mais nous on n’est pas des sauvages, c’est juste que le mec devant nous au feu est au tel au lieu de démarrer, que l’on est pressé et qu’en plus on a passé une journée pourrie.
Il nous arrive de jouer comme un degen aussi. Mais c’est juste qu’on est temporairement en tilt, ou bourré, ou fatigué… mais en aucun cas on est un spewtard de fish…

En résumé, nous avons tendance à penser que les autres agissent “car ils sont comme ça” mais que nous agissons “car la situation est comme ça”.

L’image d’un joueur à la table est profondément liée à l’erreur fondamentale d’attribution. Imaginons que vous receviez 6 grosses mains d’affilée et les jouez toutes. Votre image sera catastrophique, surtout si vous venez d’arriver à la table. Une fois le rush terminé, mieux vaut ne pas tenter de bluff…
Réciproquement, si vous ne jouez aucune main pendant plusieurs tours, parce que vous ne recevez que de la daube, vous aurez l’image d’un joueur très tight et serez respecté la prochaine fois que vous rentrerez dans un coup.
Votre comportement est avant tout dû à un facteur externe (la distribution des cartes) mais vos adversaires l’attribuent à votre disposition (“il est hyper tight”)

Si un reg pouvait voir l’ensemble des notes prises sur lui, il y a très peu de chances qu’il se reconnaisse dans toutes. A coup sûr il y aura des “Calling Station” et des “spewy”, des “bons joueurs” et des “fishs”. Certains lui attribueront un range préflop serré, d’autres un range préflop large…
Prendre une note revient à résumer la personnalité d’un joueur en quelques lignes, un seul mot, voire un code couleur, le tout en se basant juste sur quelques mains. Bref, il y a toutes les chances de se tromper. Bien sûr, utilisée à bon escient, la prise de note peut être un outil Ev+. Mais, prendre sa décision dans une main difficile en se basant sur une note type “gros bluffeur”, écrite un mois auparavant après quelques mains contre le joueur, peut être plus contre-productif qu’utile...

Nuances de l’erreur fondamentale d’attribution

L’erreur fondamentale d’attribution est une tendance générale, qu’il convient de relativiser.

Lorsqu’un ami agit mal, nous allons attribuer son comportement à des causes externes et non internes. “Ok il aurait pas dû s’énerver mais il est pas comme ça, il était juste fatigué”. Idem lorsqu’un ennemi agit bien. “c’est juste une manoeuvre politicienne, il ne pense pas ce qu’il dit”.

Il en va de manière similaire pour soi : la tendance générale à expliquer son comportement par des causes externes est accentuée lorsqu’on agit mal, mais diminuée lorsqu’on agit bien.

Au poker, si un ami gagne un fort tournoi, c’est qu’il est vraiment bon, mais si c’est quelqu’un que vous n’aimez pas qui gagne, c’est parce qu’il est un gros chattard. Similairement, lorsque vous gagnez c’est que vous êtes fort, lorsque vous perdez, c’est que vous n’avez pas eu de chance. Dans ces cas, le manque d’objectivité est un frein à la progression : comment corriger ses erreurs si on ne les reconnaît pas ?

En outre, l’erreur fondamentale d’attribution est en partie culturelle. Les occidentaux, globalement plus individualistes, sont plus sujets à se focaliser sur les causes internes que les orientaux, plus collectivistes et donc concentrés sur les causes externes. On ne va pas en conclure qu’à Vegas on regarde la personnalité des joueurs et à Macau le contexte... L’important est plutôt de retenir que l’erreur fondamentale d’attribution n’est pas une fatalité. Pour ne plus en être victime, rassurez-vous, nul besoin de déménager en Asie, demandez-vous simplement à quel point il est pertinent de considérer  "untel est comme ça" ou "je n'ai rien à me reprocher".

 PA  0 6318   20 Commentaires