Jouez plutôt votre range de mains

Jouez plutôt votre range de mains

Au poker, on ne connaît presque jamais avec exactitude le jeu adverse. Pourtant, trop de joueurs raisonnent en attribuant une main unique à leur rival, ou pire, en ne considérant que celle qui leur a été distribuée. Alors parlons de ranges de mains...

En découlent autant de réflexions simplistes, si ce n’est fallacieuses, qui plongent dans l’erreur et coûtent beaucoup d’argent. Pierre donne ici les clés pour appréhender le concept d’éventail de mains et porter votre poker au niveau supérieur.

Pensez à votre range et pas à votre main

Nous sommes au Day 1B de l’EPT Deauville 2012 (dont Pierre finira 69e, ndlr). J’avais développé en milieu de journée, après que ma première table ait cassé, une image serrée. Durant les 90 premières minutes, je n’ai littéralement pas joué, préférant assister en spectateur à la bataille. Si vous êtes à une table difficile, prenez toujours quelques orbites pour vous faire une idée précise du profil de chacun. Un joueur de live, la cinquantaine, assez large pré-flop et d’un niveau moyen relance alors en milieu de parole à 500, aux blindes 100/200. Nous avons tous les deux 50.000 jetons, et je reçois au cut-off. Il est temps de se servir de mon image et de la position pour sur-relancer en bluff. Je 3-bet donc à 1550. Tout le monde passe et le relanceur initial paye. Il est de nature assez passive post-flop, et pas du tout adepte du slowplay. Bref, il est une cible parfaite. Il est primordial de le mettre sur une range, mais un second réflexe tout aussi important doit suivre: quelle est ma range perçue pour effectuer cette sur-relance ? Du fait de mon style serré à ce moment du tournoi, mon éventail de mains paraît fort, probablement composé dans l’esprit de Vilain de mains comme QQ, KK, AA ou AK. Et la range adverse? Mon rival sait que je suis sérieux, il a donc probablement payé avec une paire ou des suited connectors (55- QQ+78s+8Ts+, ATs-AJs-AQs-AQo) pour toucher un bon flop et craquer ainsi mon prétendu monstre. Nous pouvons donc légitimement exclure les As et les Rois, voire les Dames, de sa range, mains avec lesquelles il aurait sur-relancé.

Flop:

Pas de tirage couleur ! Nous n’avons pas touché, et il est assez probable que notre adversaire ait une paire, donc un meilleur jeu que le nôtre. Mais êtes-vous si sûr qu’il s’agit d’une mauvaise nouvelle ? Analysez la situation range contre range plutôt que main contre main. Si, comme moi, vous trouvez que ce flop, qui ne contient pourtant ni Roi ni Sept, est excellent pour nous, si comme moi vous préférez avoir 7 à notre place que à la place de notre concurrent, alors vous avez déjà tout compris. Il nous met probablement pré-flop sur une main très forte, et même si nous n’avons que hauteur Roi, il faut s’appuyer sur la puissance de notre range perçue pour gagner le pot. Ici, et sur beaucoup de textures, nous allons toujours remporter le coup en misant trois fois. Il faut donc enchérir que l’on ait touché ou non (une moitié de pot suffira). Si notre adversaire calle, pas de panique: nous sommes maintenant capables de le mettre sur une range très précise (55 à JJ). En réalité, nous sommes même contents qu’il paye, car il fait grossir le pot. Sa range est “capée”, c’est-àdire qu’elle ne contient aucune main très forte. Ici, son éventail est limité à JJ, tandis que le nôtre apparaît infiniment plus fort et contient davantage de combinaisons puissantes (JJ à AA). Sur tous les turns et rivers, que nous améliorions ou pas, nous allons pouvoir miser. Que ce soit au flop, au turn ou à la river, il foldera quasiment tout le temps en nous imaginant sur une main forte que nous ne possédons pas. Mon adversaire check/call alors une mise de 1300.

Turn:

Il check/call de nouveau, à 2400 cette fois.

River :

Après avoir misé un peu plus que la taille du pot, Vilain fold ce qu’il dit être les Dames. Nous nous sommes bel et bien servis de la force de notre range pour gagner ce pot et pas de notre main réelle. En guise d’exercice, je vous invite à la réanalyser sur des flops de nature différente. Comment l’auriez-vous joué sur Axx ? Kxx ? Ou encore 789 avec un tirage couleur ?

Quelle range peut avoir notre adversaire ?

Je vais m’appuyer cette fois sur une main jouée par Shannon Shorr. Ce coup se déroule lors du 10.000€ des EFOP en janvier (Pierre prendra la 3e place de l’épreuve, ndlr). À la table, nous avons deux concurrents lambda et six très bons joueurs, dont Shannon Shorr, Ludovic Lacay et mon ami Basil Yaiche (Basou), lui aussi coach sur PA. Je suis d’ailleurs assis juste à sa gauche. Sur les blindes 100/200, Shorr, un joueur tight en début de tournoi, relance à 500, payé par un fish scared money en middle position et par Basil au bouton. Les trois protagonistes ont environ le stack de départ, soit 30.000 jetons.

Flop:

Sur ce flop, Shorr c-bet à 1100. Vilain passe et Basil relance à 3000. Mettons-nous à la place de l’Américain: comment perçoit-il à ce moment l’éventail de mains de Basil, qu’il n’a jamais joué auparavant. A priori, on peut facilement exclure les mains très fortes car les As, les Rois et les Dames vont être souvent sur-relancées pré-flop. Il ne relancerait pas 88- JJ sur ce flop car il peut très bien être battu et sera rarement payé par moins bien. On peut donc penser qu’il a assez peu de mains fortes dans sa range, a priori seulement 67, 66, 77 ou LivePoker 47 Vilain (UTG+2) (30.000) Yaiche (Bouton) (30.000) 22. En revanche, Basil a un profil de jeune joueur online, autrement dit un “dégen” capable de bluffer avec un tirage pique, un tirage quinte et même parfois rien du tout. Shorr calle.

Turn:

Il s’agit de la meilleure carte pour nous, car cela réduit des deux tiers la probabilité d’avoir un brelan de Six chez Basil, et celle d’avoir 67 est désormais sacrément réduite. Basil mise encore 3000 et nous payons. Il est maintenant quasi certain qu’il se sert d’un draw pour continuer à miser tant qu’il a de l’équité. Nous sommes donc confiants dans la force de notre jeu.

River :

La river ne fait pas rentrer la couleur. Si nous étions devant au turn, nous le sommes toujours, et Basil, s’il était à tirage, n’a qu’une maigre hauteur. Nous checkons et il mise 7000. Nous avons de prime abord un call facile, puisque Vilain est susceptible de bluffer avec un tirage manqué et n’a que très peu de mains fortes dans sa range (full aux Deux, aux Sept et carré de Six). Shorr paye instantanément et roule des yeux en voyant Basil retourner deux Rois slowplayés pré-flop. Il a très intelligemment intégré dans sa range de flat call pré-flop des mains très fortes, a pu piéger Shorr et lui prendre un énorme pot. « Okay, cette table va être diablement dure », conclura un Finlandais à la table en découvrant la main de Basou.

Article extrait de Live Poker

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